BOOK REVIEWS

He Qing, Images du Silence : Pensée et art chinois

by  Isabelle Rabut /

Comme l'annonce sans ambages sa notice biographique en quatrième de couverture, les travaux de He Qing s'inscrivent dans la problématique actuelle de la résistance culturelle contre le « faux universalisme » imposé par l'Occident. Son objectif avoué est de récuser ou de corriger certaines représentations courantes concernant la peinture chinoise : l'importance du « mouvement », l'omniprésence de la nature, et surtout les qualificatifs de « romantique », d'« individualiste » ou d'« expressionniste » appliqués à certaines œuvres, et dont il conteste la pertinence. Toutes ces formes d'appropriation de l'art chinois lui semblent laisser échapper le substrat philosophique qui en constitue le cœur, et qui se résume dans le concept de « silence », aboutissement d'un processus d'oubli du moi.

L'auteur commence donc par rappeler le rôle cardinal du « silence » dans la philosophie chinoise, qu'elle soit confucéenne, taoïste ou bouddhiste, puis dans la pensée esthétique chinoise, avant d'en examiner la traduction concrète à travers la poésie (Tao Yuanming, Xie Lingyun, Wang Wei, Meng Haoran, etc.) et la peinture (Huang Gongwang, Ni Zan, Wu Zhen, Wang Meng et Fang Congyi). Toutefois, cette présentation de la pensée chinoise n'est pas très nouvelle : l'intérêt de l'étude de He Qing tient moins aux notions abordées (la dialectique du repos et du mouvement, le contrôle des émotions, l'insipidité, l'érémitisme) qu'aux nombreuses citations et à l'indication des termes chinois correspondants, dont les uns sont donnés directement dans le texte, et les autres dans un glossaire placé à la fin de l'ouvrage. Le chapitre VII, notamment, apporte des éclaircissements utiles sur douze notions esthétiques souvent difficiles à traduire (« lointain », « limpide », « oisif », « solitaire »).

Dans sa volonté démonstrative, l'ouvrage, hélas, manque parfois du sens de la nuance. On y sent une certaine condescendance à l'égard de l'Occidental incapable de percevoir la dimension spirituelle située au-delà de la matière et des « passions individualistes ». Simplificatrice à l'égard de l'Occident, sa vision n'est pas non plus exempte de clichés sur l'art chinois : tout ce qui s'écarte de la grande tradition de la peinture de paysage lettrée est considéré comme artisanal ou grossier. La dimension escapiste de l'érémitisme chinois n'est jamais prise en compte, et les artistes, qu'ils soient peintres ou poètes, semblent vivre spontanément dans un univers éthéré, comme si leurs œuvres n'avaient jamais exprimé la moindre passion ou le moindre désespoir. À tel point qu'on en vient à se demander si, en voulant rendre à son sujet toute sa dignité philosophique, prétendument me-nacée par le regard occidental, l'auteur ne conforte pas une image conventionnelle et quasi mythique de la sérénité chinoise.