BOOK REVIEWS

Pitman B. Potter, The Chinese Legal System, Globalization and Local Legal Culture

Voici un livre salutairement réaliste sur le droit de la Chine populaire et la place que celui-ci occupe au sein du système politique, de l'économie et de la société de ce pays. En six chapitres et environ 140 pages de texte dense mais clair (suivi d'un appareil de notes fort utile de 75 pages), The Chinese Legal System dresse avant tout un bilan rigoureux et assez complet de l'entreprise, engagée en 1979, de réhabilitation, de développement puis « d'adaptation sélective » aux normes internationales du droit chinois (p. 7). En conclusion, mais surtout en creux tout au long de l'ouvrage, cette étude balise aussi l'œuvre qui reste à accomplir afin que le système légal chinois permette sinon l'émergence d'un Etat de droit et d'un régime politique démocratique, du moins un certain respect par la Chine des normes édictées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), auquel ce pays vient d'accéder. Américain mais installé depuis longtemps au Canada, où il dirige l'Institut de recherche asiatique de l'Université de Colombie britannique, et l'un des meilleurs spécialistes du droit chinois contemporain, Pitman Potter était particulièrement bien armé pour établir cet état des lieux.

Les familiers des écrits de Pitman Potter reconnaîtront dans les divers chapitres des éléments d'analyses que celui-ci a déjà publiés précédemment sous forme d'articles ou de contributions à des livres collectifs. Ainsi, le questionnement central de l'ouvrage s'organise autour d'une réflexion que l'auteur développe depuis un certain nombre d'années : la tension permanente et forte entre, d'une part, les normes légales étrangères — dans l'ensemble libérales et occidentales mais devenues globales — dont les réformateurs chinois souhaitent s'inspirer et, d'autre part, une culture juridique locale où l'Etat continue de jouer un rôle dominant, pour des raisons à la fois traditionnelles — le passé impérial — et modernes — la révolution communiste, la crainte de la « dépendance ». Mais la construction de ce livre est nouvelle et originale. Pitman Potter nous rappelle, tout d'abord, comment l'approche fondamentalement instrumentaliste et formaliste du droit, privilégiée par Deng Xiaoping et ses successeurs, a permis à la Chine de surmonter cette contradiction entre l'influence du droit occidental et la culture nationale par une adoption-adaptation sélective du premier (chapitre 1). Il nous entraîne ensuite (chapitre 2) dans les méandres de la réforme du système politico-légal afin d'en souligner très justement les limites, tant pour ce qui concerne la montée en puissance, toute relative, de l'Assemblée populaire nationale ou de la subordination, encore très étroite, des tribunaux à l'institution du Parti communiste que du contrôle juridictionnel, pour l'heure balbutiant, de l'administration ou même de l'action pour le moins inconstante et décevante de la CIETAC (China International Economic and Trade Arbitration Commission). Le chapitre 3 est consacré au droit des contrats, l'un des domaines clés de la réforme juridique : en effet, la reconnaissance de la force juridique des contrats et de l'autonomie des contractants, en particulier par rapport à l'Etat, est essentielle à la construction de ce que l'on serait tenté d'appeler un « Etat de droit économique ». Or, l'auteur montre que, accueillie avec enthousiasme, la loi unifiée sur les contrats promulguée en 1999, est loin d'avoir levé les doutes sur le capacité de la Chine à respecter les deux principes indiqués ci-dessus, sacro-saints aux yeux des juristes occidentaux. Cette difficulté tient, en partie du moins, aux ambiguïtés persistantes des régimes de propriété (terres, bâtis, entreprises, propriété industrielle et intellectuelle), longuement discutés dans le chapitre 4. En effet, l'Etat continue d'occuper un rôle central, à la fois comme médiateur et comme propriétaire: en d'autres termes, plus que dans la plupart des autres pays, il demeure dans ce domaine juge et partie. Suit un chapitre sur les droits de l'homme qui, loin de se borner aux problèmes de l'application des nouveaux code pénaux (loi et procédure criminelles), aborde l'importante question du droit du travail et des autres « droits de l'homme économiques et sociaux » (droit syndical, sécurité sociale). Le livre se clôt par une synthèse sur l'état du droit des relations économiques avec l'étranger à la veille de l'accession de la Chine à l'OMC (chapitre 6), puis par un énoncé des difficultés que l'intégration de ce pays à l'économie mondiale va provoquer ou intensifier.

Si après avoir refermé cet ouvrage, le lecteur n'entretient plus d'illusions sur la capacité de la Chine populaire à mettre en place un Etat de droit, il n'a pas pour autant trouvé réponse à l'ensemble de ses questions, et ceci pour deux raisons assez contradictoires. D'une part, il apparaît quasiment impossible au système légal chinois, en dépit des réformes introduites dans la seconde moitié des années 1990, de respecter les règles de l'OMC dans le domaine de la réforme légale : en matière de transparence de la réglementation, de conformité des règlements locaux aux lois nationales, de non-discrimination des entreprises étrangères (traitement national), mais surtout de recours juridictionnel contre l'administration et d'indépendance des tribunaux, la distance qui sépare les règles et la pratique chinoises des normes internationales reste infranchissable. Si dans les deux premiers domaines, l'on peut espérer des progrès, l'on voit mal une évolution véritable de la situation sans changement, non seulement du régime politique mais également de régime politique. Certes, l'auteur reconnaît qu'il est illusoire de demander une conformité totale de la Chine aux normes de l'OMC ; à ses yeux, il faut plutôt exiger de ce pays une « conformité appropriée » (appropriate compliance) ou plus exactement une « non-conformité acceptable » (acceptable non-compliance) (p. 141). La question est de savoir si la subordination des juges au Parti communiste est une « entorse acceptable » à ces normes. La réponse devrait évidemment être négative. Elle est positive, pour les raisons suivantes.

Guère discutée, ou plutôt interprétée par Pitman Potter, est la question de l'évolution progressive du droit chinois contemporain. En dépit de la persistance des résistances politiques et culturelles dont tout le monde convient, n'observe-t-on pas une tendance de fond, dans la réforme légale chinoise, vers plus d'autonomie des personnes physiques et morales, vers une certaine professionnalisation des tribunaux et des juristes et vers un rôle plus étendu des tribunaux ? Plus important peut-être, la dialectique avancées/résistances se limite-t-elle à une opposition entre apports de ou emprunts à l'étranger et obstacles ou freins locaux ? En dépit de son ambivalence rémanente à l'égard du droit (p. 54), la société chinoise n'est-elle pas, elle-même, l'un des acteurs de cette transformation ? Elément essentiel de la culture juridique chinoise, le désir de justice et d'équité est croissant en Chine, stimulé par le creusement des inégalités, les abus de pouvoirs des gouvernants et aussi, il faut le rappeler, les nouvelles possibilités de recours contre le pouvoir ou ses ramifications bureaucratico-économiques que la réforme légale a apportées (1). A cet égard, s'ils nous informent de la multiplicité des difficultés d'application des lois, les nombreux et bienvenus exemples de jurisprudence présentés par l'auteur ne tracent pas de lignes de changement évidentes, que ce soit d'ailleurs dans un sens optimiste ou pessimiste.

Il n'en demeure pas moins que The Chinese Legal System nous parvient à point nommé pour à la fois garder la tête froide face aux potentielles métamorphoses politico-légales de la Chine populaire dont rêvent certains et mieux évaluer ce que ce pays en développement, même membre actif et de bonne foi de l'OMC, peut et ne peut réaliser en matière de réforme juridique.