BOOK REVIEWS

Werner Draguhn et David S.G. Goodman éds., China’s Communist Revolutions : Fifty Years of the People’s Republic of China

by  Alain Roux /

Cet élégant ouvrage présente les principales interventions faites lors d’un colloque tenu en septembre 1999 à Hambourg et organisé par l’Institut für AsianKunde de Hambourg et l’Institute for International Studies de l’Université de Technologie de Sidney. Il s’agissait de faire le point à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine (RPC) sur un sujet central qui servait de sous-titre à cette rencontre : la Révolution était-elle vraiment nécessaire ? La réponse, toute en nuance, semble avoir été qu’elle était inévitable, pour des raisons historiques particulières (inefficacité du Kuomintang (KMT), agression japonaise, formation d’une puissante armée rouge par le Parti communiste chinois (PCC), etc.) mais certainement pas nécessaire. La réussite de la République de Chine à Taiwan montre d’ailleurs que, dans d’autres circonstances historiques particulières, le KMT a su s’adapter

On sait combien ce type d’ouvrage faussement collectif, car il juxtapose les interventions plus qu’il ne les organise en un ensemble cohérent, s’il est commode pour les éditeurs, est souvent frustrant pour le lecteur : les réponses ne sont que partielles ; on manque de vues d’ensemble ; certains participants ont déjà placé ailleurs leur intervention itinérante de colloque en colloque. Raison de plus pour souligner combien ce livre est globalement satisfaisant, malgré ces handicaps.

Un premier ensemble de trois articles se situe en aval de la fondation de la RPC. Ramon Myers (« Revolution and Economic Life in Republican China, from Word War I until 1949 ») fait une synthèse brillante sur l’état actuel d’une réflexion qui tend à réviser la vision très négative de Feuerwerker, suite aux travaux de Thomas Rawski, de David Faure et de l’auteur lui-même : en 1937, la Chine évoque par certains traits le Japon de l’ère Meiji. La guerre détruit cet édifice encore fragile, tandis que les communistes, vainqueurs, ne voient pas qu’ils doivent leur victoire en partie aux traits archaïques importants qui dominaient encore et se lancent dans une politique dirigiste qui détruit le peu qu’il reste du dynamisme de la décennie de Nankin. Joseph Esherick (« Collapse of the Old Order, Germination of the New : Chinese Society during the Civil War, 1945-1949 ») insiste au contraire sur le rôle essentiel de la guerre et des années 1940 qui font que l’effondrement du KMT était « inévitable ». Toutefois le succès rapide des communistes, qui traduit la transformation en profondeur de la société chinoise dans ces années décisives, porte la marque du KMT, et pas seulement en ce qui concerne le nationalisme. John Fitzgerald (« The Politics of the Civil War : Party Rule, Territorial Administration and Constitutional Government ») tient lui aussi la révolution pour quasi inévitable, tout en doutant de sa nécessité, étant donné les similitudes entre les buts que se proposaient le Parti communiste et le KMT.

Un deuxième ensemble de quatre articles cherche à apprécier l’importance des changements survenus après que les communistes sont parvenus au pouvoir au plan local puis national. Mark Selden (« The Political Economy of Socialist Transition : Restructuring Inegality ») embrasse la période 1945-1960 et montre bien le cercle vicieux du maoïsme qui pour détruire une société inégalitaire, en bâtit une autre tout autant inégalitaire et, de plus, bloquée. Marie-Claire Bergère (« China in the Wake of the Communist Revolution : Social Transformations, 1949-1966) poursuit une réflexion dont les lecteurs de Perspectives Chinoises ont déjà pu apprécier l’originalité dans son article publié dans le numéro 57 de janvier 2000 (« Changement sociaux et population chinoise après la Révolution (1949-1961) »). L’article de Robert Ash (« The Cultural Revolution as an Economic Phenomenon ») est un des plus stimulants de cet ouvrage, car il remet en question bien des statistiques qui étayent nombre de certitudes paresseuses. La Révolution culturelle y apparaît, bien sûr, comme un énorme gâchis de capitaux et d’énergie qui n’était en rien nécessaire, ce qui fait souvent de ces dix années terribles une caricature des erreurs économiques commises lors des années de gestion plus orthodoxe : ainsi le taux d’accumulation monstrueusement élevé, au détriment de la consommation qui, tout comme la productivité industrielle, chute lourdement. Mais, à la différence du Grand bond en avant, le secteur agricole n’est pas bouleversé et la « révolution verte », retardée du fait de l’isolement de la Chine depuis 1949, commence alors à porter ses fruits, bien que le revenu des paysans continue de s’effondrer : en 1977, 30% des paysans vivent dans la pauvreté totale, contre 0,3% des citadins. L’article de Michael Schoenhals (« Was the Cultural Revolution Really Necessary ? »), brillant et paradoxal, conteste la réduction courante de la Révolution culturelle à la notion « d’années folles », ce qui nuit, selon lui, à la réflexion sur les évolutions qui les ont suivies. Mais l’article détruit plus qu’il ne construit.

La troisième partie du livre porte précisément sur le bouleversement de la Chine après 1978 et ce que l’on peut appeler l’émergence d’une Chine post-communiste (ce terme n’est pas employé dans le livre). Les articles fourmillent d’hypothèses, ce qui donne parfois au lecteur une impression de tournis. Margot Schüller (« Economic Growth and Distributive Justice in the post-Mao Reform Period »), avec force graphiques et un propos souvent technique, analyse le dynamisme réel d’une croissance moyenne de 6,8% entre 1976 et 1995 et le développement rapide des inégalités et des déséquilibres qui l’accompagnent, et risquent de la freiner. Kay Möller (« China’s Foreign Relations : 1978-1999 ») commente avec pertinence et érudition le joli sous-titre qu’il a donné à son intervention : libéré, le tigre se sent seul. S’agissant des deux objectifs que s’est fixée la politique extérieure chinoise, l’indépendance du pays et sa sécurité, il semble bien que le bilan de l’effort entrepris depuis la réforme ne soit pas satisfaisant. Enfin, dans un article particulièrement neuf qui prend en compte de nombreuse recherches en cours sur le changement survenu à la base dans les provinces chinoises, David S.G. Goodman dépasse la problématique courante sur les relations entre le centre et la périphérie après vingt ans de réformes et tente de redéfinir l’état chinois actuel : la dislocation annoncée par d’autres lui semble improbable tandis que s’affirment chaque jour davantage le rôle des entrepreneurs à succès intégrés sinon au Parti, du moins à l’appareil d’Etat. Sans le dire, l’article commente le slogan des « trois représentations », cher à Jiang Zemin, qui pose les bases théoriques d’une Chine post-communisme ayant renoncé au socialisme utopique égalistariste des années Mao : une sorte de révolution copernicienne de la politique du PCC.