BOOK REVIEWS
OCDE, China in the World Economy, the Domestic Policy Challenges
Voici létude la plus complète publiée jusquà présent sur le rapport de la Chine à la mondialisation et plus précisément sur les conséquences économiques intérieures de son accession à lOrganisation mondiale du commerce (OMC). LOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) nous propose en effet un ouvrage de plus de 800 pages qui aborde, dans une première version en anglais et bientôt en français, des questions aussi variées que celles de lagriculture, des transferts de technologies, de la distribution, du rôle du droit de la concurrence, de la réforme des entreprises ou encore du développement durable et des disparités régionales, au travers dun découpage en deux grandes parties (« questions sectorielles » et « questions économiques densemble »)(1). Plus de 40 experts internationaux issus de neuf directions de lOCDE, du monde des affaires ou de celui de la recherche ont contribué aux 22 chapitres de cette étude pensée dans le cadre dun programme de dialogue et de coopération engagé avec la Chine depuis 1995, et gérée par le Centre pour la coopération avec les pays non-membres de lOrganisation.
Cet ouvrage se propose ainsi daider le gouvernement chinois à répondre à la question de savoir comment la Chine pourra tirer au mieux partie des bénéfices de sa politique de réforme et douverture au cours de la prochaine décennie, de façon à atteindre ses principaux objectifs en matière de développement. Tout en saluant les performances économiques enregistrées par la RPC depuis 20 ans, lOCDE souligne la nécessité de trouver une alternative à lutilisation des anciens moteurs de développement. La fragmentation et la segmentation croissantes de léconomie chinoise ont en effet conduit à une sous-utilisation mais aussi au gaspillage des ressources, problèmes qui ne pourront désormais être résolus par la seule libéralisation des échanges et des investissements (p. 9). Trois grandes directions à suivre ont donc été déterminées : établir les fondations nécessaires à lamélioration de lutilisation des ressources chinoises en supprimant les obstacles aux restructurations économiques sectorielles et en renforçant lintégration entre les différents segments de léconomie ttre laccent sur le droit de la concurrence, le droit de la propriété et le gouvernement des entreprises ; et enfin, améliorer la capacité de lEtat à soutenir le développement économique en consolidant les politiques macroéconomiques et en repensant le rôle des principes réglementaires dans le sens de la création et de la mise en uvre de normes encadrant les comportements sur le marché. Et les auteurs de préciser que ces grandes transformations ne pourront exister sans le respect des principes fondamentaux suivants : restaurer la solvabilité du système financier, encourager les mécanismes du marché à devenir la force principale dans la restructuration du secteur économique, mettre en place un système de finances publiques fondé sur des bases saines et durables (p. 10).
Il faut dire que la Chine est victime de ce que lOrganisation qualifie de « cercle vicieux des mauvais résultats des banques et des entreprises » (p. 21)(2). Les piètres performances des entreprises et des entreprises dEtat notamment (pp. 163-192) contribuent à la multiplication des prêts non performants et ne permettent aux banques de réaliser que de faibles profits, cest-à-dire des profits insuffisants pour quelles se prévalent dune véritable santé financière. Cette configuration, que lon retrouve au sein de bon nombre déconomies en développement, est aggravée en Chine par la spécificité des relations qui unissent des institutions financières et des entreprises dEtat très souvent déficitaires au pouvoir politique. Or comme le démontre lensemble de louvrage, la RPC ne pourra plus fonder un développement que lon voudrait équitable, durable et uniforme sur la seule ouverture aux capitaux étrangers. Il faut donc mettre en place « des réformes complémentaires afin de continuer de réduire le retard du commerce et de linvestissement et douvrir le marché intérieur, daméliorer les performances des entreprises dEtat, de mieux protéger les droits de propriété intellectuelle, et de consolider les règles de la concurrence, la mise en uvre judiciaire du droit et lensemble des conditions essentielles à un fonctionnement efficace du marché chinois » (p. 55). Lexemple des difficultés rencontrées en matière réglementaire est à ce titre révélateur. Un risque réglementaire élevé pénalise linvestissement et la concurrence en augmentant le coût du capital. Parfois arbitraire, manquant souvent de prévisibilité, de transparence et duniformité, lenvironnement réglementaire chinois a dissuadé bon nombre dinvestisseurs étrangers dentrer sur le marché ou de développer leurs activités. Les risques et incertitudes liés à une corruption endémique expliquent ainsi cette attitude. Dans un excellent chapitre consacré à cette question, lOCDE propose un certain nombre de dispositions en matière réglementaire dans loptique de létablissement progressif dun Etat de droit (pp. 361-388).
Toujours étayés et dotés de multiples tableaux statistiques et encadrés, les différents chapitres de cette étude sont pourvus dun appareil de notes bien pensé et de références bibliographiques fort utiles. La présentation claire et aérée permet également de venir à bout des 813 pages de cet ouvrage sans trop de lassitude. Il convient par ailleurs de rendre hommage aux impressionnantes annexes. La première dentre-elles synthétise les engagements auxquels la Chine a souscrit en accédant à lOMC. La seconde fournit au lecteur un aperçu général et comparatiste des principales études économétriques rédigées entre 1996 et 2000 sur lincidence prévue de lOMC sur léconomie chinoise. Cette seconde annexe permet tout particulièrement de mettre en lumière les limites danalyses largement fondées sur les conclusions de laccord bilatéral sino-américain et qui abordent cette question sous laspect tarifaire alors que limpact du maintien ou de la suppression de barrières non-tarifaires ainsi que la libéralisation des services auront sans doute une influence plus grande sur léconomie chinoise(3). La troisième fait le point sur les progrès de léducation tertiaire et fournit un certain nombre dorientations à suivre pour améliorer celle-ci. Enfin, la quatrième et dernière annexe rassemble les principaux indicateurs économiques disponibles sur la Chine au début de lannée 2002.
Quelle critique générale formuler à légard dune étude aussi vaste, précisément pensée pour aborder de manière quasi-exhaustive les principaux aspects dune économie chinoise en mutation ? Certains mettront en avant labsence dalternatives à une grille de lecture libérale des réalités chinoises puisque les difficultés sociales auxquelles aura à faire face le gouvernement sont assez largement passées sous silence, que cela soit la montée du chômage à la suite de la fermeture des entreprises dEtat ou lexode rural massif entraîné par la suppression de nombreux emplois agricoles. Le chapitre sur les perspectives et politiques agricoles consacre certes une sous-partie à limpact de la libéralisation commerciale sur lutilisation de la main duvre, qui nous apprend que lemploi agricole devrait baisser denviron 78 millions de personnes contre 73 millions si la Chine navait pas accédé à lOMC, mais cela nest sans doute pas suffisant (p. 73)(4). Lhomme semble en effet relativement absent dune étude qui met laccent sur des concepts macro et micro économiques parfois assez techniques. On ne trouvera pas non plus de remise en question de la mondialisation ou de réflexion sur les coûts et limites de celle-ci. La ligne nest pas foncièrement différente de celle de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international, mais ce nest pas non plus à un plaidoyer ultra-libéral auquel nous avons affaire. Chaque chapitre analyse de manière mesurée et personnelle des problèmes économiques communs aux pays en développement, et les leçons héritées de la transition plus ou moins réussie des anciens membres du bloc soviétique vers léconomie de marché ne semblent pas avoir été oubliées. La force de lOCDE est certainement davoir eu recours à des consultants extérieurs qui ont apporté leur propre vision de la Chine en restant dans le cadre défini par lOrganisation. Peut-on en effet véritablement demander à une organisation internationale chargée de « contribuer à lexpansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non-discriminatoire conformément aux obligations internationales » de se faire lécho des opposants à la mondialisation, et ceci face à un gouvernement chinois qui a fait le choix politique de fonder son développement sur le pari cest vrai risqué de louverture à linternational(5). Labsence de véritable vision politique et sociale peut également être mise sur le compte de lincertitude(6).
En dépit de ces quelques remarques, voici donc un outil de travail indispensable à tout chercheur, consultant, journaliste ou membre de la communauté daffaire, intéressé de près par lévolution économique interne de la Chine et soucieux daborder avec sérieux les enjeux majeurs de son accession à lOMC.