BOOK REVIEWS

Chen Shupeng, Yang Ruwan et Lin Hui éds., Xin jingyi yu Zhonguo xibu kaifa

by  David Goodman /

Au cours de la deuxième moitié de l’année 1999, les dirigeants du Parti communiste chinois (PCC), et plus particulièrement Jiang Zemin et Zhu Rongji, ont lancé un nouvel axe dans la politique de développement régional de la République populaire de Chine (RPC). Depuis 1979, avec l’abandon des principes édictés par Mao sur le développement égalitaire et l’autosuffisance régionale (principes résumés par la formule « Le pays est un échiquier »), le développement régional de la RPC avait été organisé selon un schéma qui distinguait et favorisait les zones de l’Est et les zones côtières, ainsi que leurs activités économiques internationales. Aujourd’hui, tout en maintenant une politique économique favorisant le développement régional, le PCC met l’accent sur la nécessité de développer l’intérieur du pays en faisant bon usage du slogan « Développons l’Ouest ! » (Xibu dakaifa).

Xin jingyi yu Zhongguo xibu kaifa, écrit conjointement par Chen Shupeng, Yang Ruwan et Lin Hui présente la géographie économique des régions de l’Ouest de la Chine de manière complète et précise. Ce livre est sans nul doute un outil précieux pour qui souhaite comprendre les questions liées à cette partie du territoire chinois. Les auteurs sont des géographes de l’Académie des sciences de la RPC et de l’Université chinoise de Hong Kong. Au total, 21 universitaires de RPC (la plupart de l’Académie des sciences) et quatre de Hong Kong ont participé à ce livre, publié à la suite d’une conférence présentée à l’Université chinoise de Hong Kong au début décembre 2000.

L’ouvrage dresse un tableau thématique détaillé de l’état économique et social des régions de l’Ouest de la Chine. Un chapitre d’introduction présente la nouvelle stratégie de développement. Il est suivi de chapitres traitant des conditions naturelles, de l’urbanisation et des communications, de la gestion des ressources humaines, du tourisme et de la protection de l’environnement et enfin des conditions d’investissement. Une section porte également sur les relations entre Hong Kong et le développement de l’Ouest. A l’exception des chapitres sur la Mongolie intérieure, Chongqing et le tourisme écologique dans le Qinghai, la « région Ouest » est traitée dans son ensemble.

Le problème essentiel auquel l’on est confronté lorsque l’on veut analyser les évolutions et l’impact de la politique « Développons l’Ouest ! » est sans aucun doute de déterminer précisément ce que recouvre « l’Ouest chinois » (travail de définition que l’on ne pouvait d’ailleurs pas exigé des auteurs du présent ouvrage). Longtemps, l’Ouest chinois est demeuré une notion politique et sociale aux contours assez flous. Ce manque de rigueur était courant pendant les périodes expansionnistes de la Chine impériale puisque les frontières occidentales variaient continuellement, au gré des conquêtes et des défaites(1). Plus récemment, des efforts ont été faits pour faire coïncider la géographie avec la réalité historique et force débats sont venus enrichir la définition de l’Ouest chinois. Cette région continue à jouer un rôle important dans la construction de l’identité chinoise — dans la définition de la « sinité » notamment — et garde sa vocation de catalyseur culturel : pour la population chinoise, l’Ouest du pays est encore perçu comme une région exotique(2).

En Chine communiste, la définition de l’Ouest a souvent été changeante. Pendant la période maoïste, le PCC distinguait une région du Nord-ouest recouvrant le Shaanxi, le Ningxia, le Gansu, le Qinghai et le Xinjiang, et une région du Sud-ouest recouvrant le Sichuan, le Yunnan, le Guizhou et la région autonome du Tibet. Puis au début des années 1980, les géographes chinois ont avancé les termes « d’Ouest de la Chine » pour parler des provinces du Xinjiang, du Tibet, du Qinghai, du Gansu, du Ningxia et de la Mongolie intérieure. La région autonome Zhuang du Guangxi était alors considérée comme une région côtière. Le Shaanxi, le Sichuan, le Yunnan et le Guizhou appartenaient alors à la région du centre.

Le manque de rigueur dans la délimitation de l’Ouest s’est poursuivi jusque dans le débat qui a accompagné la mise en place de la formule « Développons l’Ouest ». Les mesures de la nouvelle politique mises en place fin 1999 et début 2000 ont été appliquées à dix provinces de l’Ouest : les régions autonomes du Xinjiang, Tibet et Ningxia, le Qinghai, le Gansu, le Shaanxi, le Sichuan, le Yunnan, le Guizhou et la municipalité de Chongqing(3). Toutefois, en octobre 2000, ces provinces sont passées au nombre de 12 avec l’addition des régions autonomes de Mongolie intérieure et du Guangxi(4).

Aujourd’hui encore, l’Ouest chinois reste une notion imprécise. S’il est évident que l’Ouest est la zone des minorités ethniques pauvres et où les infrastructures générales sont les plus faibles, ces deux critères ne suffisent pas pour caractériser la région. Il est vrai que les provinces de l’Ouest sont défavorisées socialement et économiquement, mais pas uniquement, ni de manière identique. Ainsi le Xinjiang, dont le taux de croissance soutenu au cours des années 1990 prouve un réel succès économique, a atteint un niveau de PIB annuel par habitant à peu près égal à celui de Hainan (considérée comme au centre de l’économie globale) ou du Jilin (appartenant à une région industrielle bien établie). En 1999, le PIB par habitant du Xinjiang s’élevait à 6 470 yuans, celui de Hainan était de 6 383 et celui du Jilin de 6 341 (1 yuan = 8 €).

On considère généralement que le niveau des investissements étrangers et la croissance des entreprises privées sont des indicateurs du progrès économique. Dans la région Ouest, le secteur public reste dominant et la croissance demeure inférieure à celle que l’on observe dans les grandes municipalités ou les provinces côtières. On peut signaler toutefois qu’en Mongolie intérieure, à Chongqing et au Sichuan, le niveau des investissements étrangers a rejoint celui d’autres régions de la RPC.

Les provinces de l’Ouest jouissent d’un nombre de médecins par habitant comparable avec les provinces côtières, à l’exception du Guangxi et du Guizhou. Le taux de scolarisation (école primaire) est faible au Tibet et au Qinghai, mais pas plus bas qu’ailleurs en Chine dans le reste de la région Ouest. D’une manière générale, les provinces de l’Anhui, du Jiangxi, du Shanxi et du Henan doivent faire face aux mêmes problèmes économiques et sociaux que les provinces les plus désavantagées de l’Ouest.

Un fort pourcentage des minorités nationales de Chine vit dans la région Ouest telle qu’elle est définit aujourd’hui. A elles seules, sept provinces de l’Ouest regroupent un quart des minorités ethniques du pays. Néanmoins, les non-Han sont proportionnellement moins nombreux au Sichuan et presque complètement absents du Shaanxi. Partout ailleurs en Chine, les minorités ethniques représentent une proportion significative de la population globale, surtout dans le Nord-est et à Hainan. Il est certain que les infrastructures économiques permettant aux provinces de l’Ouest d’être désenclavées et de participer pleinement à l’économie du pays sont insuffisantes. Mais ce même problème affecte également d’autres provinces du pays, notamment l’Anhui, le Jiangxi et le Shanxi(5). Plus encore, certaines provinces de l’Ouest, comme le Sichuan, le Xinjiang ou Chongqing jouissent d’infrastructures économiques qui, sans les placer à égalité avec Pékin et Shanghai, sont loin de faire mauvaise figure comparées avec le reste de la Chine.

Toutes ces remarques soulignent les différences significatives existant dans les domaines politique, économique et social entre les provinces de la région Ouest. Leur dénominateur commun est la présence de minorités ethniques, mais ces populations sont aussi très diverses culturellement. Un territoire tel que le Tibet, où une large partie de la population est d’une même origine ethnique, aura une dynamique politique différente d’une région où se côtoient plusieurs minorités ethniques, comme au Qinghai. Les zones à forte concentration de non-Han ne sont par ailleurs pas toutes vouées à voir émerger des mouvements séparatistes — toutes ne sont pas le Tibet ou le Xinjiang. De même, la prédominance de l’Etat dans la vie économique des provinces de l’Ouest masque des différences profondes en matière de systèmes de production et d’industrialisation : c’est l’industrie légère liée à la production du tabac qui anime le Yunnan ; au Xinjiang, c’est une industrie légère manufacturière qui domine ; et à Chongqing, au contraire, c’est une vieille base d’industries lourdes qui prédomine.

En conclusion, on retiendra que la campagne « Développons l’Ouest ! » s’inscrit dans un contexte politique plus large, qu’elle déborde le cadre de la région géographique à laquelle elle s’applique et qu’elle n’a pas en soi les véritables attributs « d’une politique ». La stratégie du gouvernement manque de netteté : on ignore encore, par exemple, le montant du budget prévu pour la mise en œuvre de cette politique (seuls quelques observateurs étrangers sont parvenus à avancer un ordre de grandeur). Dans ces conditions, l’Ouest de la Chine ne constitue pas tant une région qu’un projet d’Etat, destiné à amoindrir les inégalités régionales, à renforcer la construction de l’Etat-nation… et à coloniser les régions de la RPC les moins intégrées à la société chinoise.

 

Traduit de l’anglais par Stéphanie Petit-Tung