BOOK REVIEWS
Philip C.C. Huang, Code, Custom, and Legal Practice in China. The Qing and the Republic Compared
Philip Huang a fondé a Los Angeles un groupe détude sur le droit chinois et une collection chez Stanford University Press, dont cest là le sixième volume. Le présent ouvrage est aussi le deuxième volet dune trilogie annoncée. Après son étude sur le droit civil Qing (Civil Justice in China, Representation and Practice in the Qing, 1996), il projetait doffrir un volume sur la période républicaine, mais a trouvé plus éclairant de présenter le droit civil républicain par contraste avec lépoque précédente. Ce livre est donc une nouvelle contribution à lhistoire du droit chinois par une éminente autorité en ce domaine, mais il constitue aussi, du fait de son approche comparative, une étude des changements politiques et sociaux survenus pendant la première moitié du vingtième siècle sous un angle, le droit, souvent négligé par les historiens, sans doute parce que habituellement estimé trop « technique ».
Louvrage se présente en deux parties : la première, plus courte, retrace lhistoire du code et des institutions légales de 1900 à 1945. Il raconte les travaux des commissions de réforme du droit lors de la décennie 1900-1910, qui proposèrent de nouveaux codes, civil et pénal, inspirés notamment du modèle allemand. Le projet de code civil, cependant, ne fut jamais adopté, et une version révisée des partie « civiles » extraites du code Qing resta en fait en usage jusquà la promulgation du code civil rédigé par le gouvernement du Kuomintang en 1929-1930. Cependant, des réformes sur la procédure furent, quant à elles, appliquées progressivement depuis les dernières années Qing : séparation du droit pénal et droit civil (qui nétait quaffaires mineures » dans le code Qing et devient un domaine séparé), séparation du judiciaire et de lexécutif dans ladministration locale, émergence des professions juridiques. Cette évolution des pratiques a donc facilité (et non suivi) ladoption dun droit radicalement différent du code Qing. La seconde partie étudie les continuités et différences entre le droit des Qing et de la République, tant dans les textes de loi que dans la pratique (au travers dun échantillon de cas tirés darchives locales), au travers de cinq questions relevant essentiellement du droit civil : la vente conditionnelle de terres (dian), la propriété de la « surface du sol » (double propriété des terres agricoles), les dettes, le soutien aux parents âgés, et le droit familial appliqué aux femmes (mariage, adultère, divorce). Lécriture de P. Huang est claire et son argument solidement construit, il a le grand mérite de rendre intelligible un sujet touffu à des non-spécialistes (tels que le présent recenseur).
Sur chaque point, lauteur sattache à mettre en regards la « logique » (les fondements idéologiques) des deux codes, la pratique des juges, et la « coutume » (en fait, ici, simplement les pratiques communes dans le peuple) : tantôt les codes tentent de suivre la « coutume », tantôt ils la rejettent. Dans lensemble, le contraste entre le code Qing et celui de 1929-30 apparaît plus grand quentre les cas concrets trouvés dans les archives Qing et républicaines. Dans ces derniers, on retrouve des problèmes très semblables issus dune pratique populaire qui change lentement. Souvent, les juges républicains essaient de trouver des compromis entre les logiques radicalement nouvelles du code de 1929-1930 et les attitudes traditionnelles, soit parce que le code a des conséquences inattendues, soit parce que le code lui-même garde des traces de lidéologie paternaliste Qing, soit encore simplement parce que les juges partagent encore largement la « logique » ancienne. Mais lévolution tant du code que de la jurispridence va dans un même sens. P. Huang résume cette évolution en deux termes : dune économie agricole à une économie capitaliste (la première privilégiant le droit du paysan à sa terre et le protégeant contre lusure et la dépossession, la seconde reconnaissant la propriété individuelle, le capital et linvestissement), et dun droit patriarcal à un droit de lindividu, qui implique légalité des sexes, le mariage comme un contrat entre deux personnes, et le droit des femmes à disposer delles-mêmes.
P. Huang, sans parti-pris politique, veut donner toute sa dimension positive à lentreprise juridique du Guomindang, en montrant les avancées concrètes (droit de la femme, économie de marché) quont permis le nouveau code et la pratique juridique qui laccompagne. On peut se demander si le choix des exemples est représentatif de lensemble des lois républicaines. Le droit foncier et le statut de la femme sont des domaines où le Guomindang portait un vrai projet moderniste positif. Dans un autre domaine, aux limites du droit civil, qui intéresse le recenseur, celui du droit des temples et des clergés, lévolution est un peu différente. Certes, on passe là aussi dun modèle absolutiste (sous les Qing, lempereur est le maître de la religion, et peut décréter un culte illicite et le supprimer) à un autre régi par le droit uniquement encore que par ses lois anti-religieuses, le gouvernement de Nankin « fait de la théologie » et trie arbitrairement, sous un couvert de justification scientiste, les cultes autorisés et ceux quil faut supprimer. Mais les lois sur les temples (notamment 1915 et 1928) marquent aussi une ingérence plus grande de lEtat dans un domaine pourtant privé et de nouvelles prérogatives des autorités locales, qui se permettent notamment les saisies des terres des fondations religieuses, ainsi que le déni de lexistence de certains types dorganisations (corporations de temples) qui sans être formellement reconnues dans le droit Qing létaient en pratique par les magistrats.
En bref, le livre de P. Huang dresse un portrait des changements introduits par un code issu dune idéologie importée (le capitalisme libéral, donnant la priorité aux contrats entre les individus comme source des relations sociales). Ladaptation de cette idéologie dans le contexte chinois se traduit donc par une évolution contrastée dans le domaine des libertés, accroissant certaines pour en réduire dautres.