BOOK REVIEWS
Feifei Li, Robert Sabella et David Liu éds., Nanking 1937 : Memory and Healing
Ce petit livre présente les interventions faites lors dun colloque international qui sest tenu le 22 novembre 1997 à lUniversité de Princeton (New Jersey) sous le même titre. Les intervenants sy étaient efforcés de faire le point avec le maximum de sérieux sur un des grands sujets de controverses qui a fait rage en Chine et au Japon depuis les années 1980 : la mise à sac par larmée japonaise, entre le 13 décembre 1937 et le début mars 1938, de Nankin, qui était alors la capitale de la Chine nationaliste. Ce crime de guerre fut jugé, entre autres, par le Tribunal International de Tokyo, qui a puni 25 criminels de guerre dits de premier rang, dont le général Matsui Iwane, qui commandait en chef lors du massacre et fut pendu le 28 décembre 1948. On sait que les vicissitudes de la « guerre froide » survenue durant les trente mois de cet interminable procès firent que 23 criminels de guerre de second rang et 19 de troisième rang ne furent pas jugés et pour la plupart rendus à la liberté dès la fin 1948. Parmi eux, Sasagawa Ryoichi dont une fondation actuellement très présente en France, honore la fâcheuse mémoire. Cette mansuétude américaine contraste avec la relative sévérité du Tribunal de Nuremberg qui jugea des crimes du nazisme avant le déclenchement de la Guerre froide : elle a favorisé sans aucun doute une campagne longtemps insidieuse, puis de plus en plus ouverte, des milieux japonais « négationnistes », dont témoigne la publication de livres comme celui de Tanaka Masaaki : What really happenend in Nanking : The refutation of a Common Myth (éditions Sekai Shuppan, Tokyo, 2000, 145 p.).
Le livre collectif de Feifei Li, Sabella et Liu est donc dabord à saluer comme un ouvrage nécessaire, qui rappelle la réalité dun massacre qui coûta la vie, dans des conditions souvent atroces, à environ 300 000 chinois, dont un tiers de militaires désarmés, et saccompagna du viol et du meurtre de plusieurs dizaines de milliers de femmes. Pour que de tels faits cessent de peser sur la mémoire des peuples, avec les risques que cela entraîne de manipulations politiques, il faut dabord affronter la réalité. Alors seulement on peut « guérir », comme le précise le titre du colloque et du livre. Cet ouvrage le fait, avec le maximum de sérieux : il comprend notamment de nombreuses participations dhistoriens japonais, ce qui rappelle opportunément que les « négationnistes » japonais sont surtout des politiciens et des journalistes et que la communauté scientifique de larchipel ne partage que très rarement leurs vues. Il est bon aussi de rappeler que la querelle des manuels dhistoire japonais qui fait rage à la fin de chaque printemps, quand les fleurs de cerisiers embellissent la campagne et que lon accorde le label lucratif du ministère de léducation nationale à tel ou tel ouvrage, est une querelle politicienne où diverses personnalités de droite dénoncent les historiens coupables de donner une « vision masochiste » de lhistoire nationale. Cest ainsi que les auteurs bien en cour parlent de « lincident » (jiken ou, en chinois, shijian) de Nankin et nient quil y eut massacre (gyakusatsu, en chinois, nüesha). Sur ce dossier, on peut consulter avec profit la remarquable mise au point de Guido Samarani « The Nanking Massacre in Some Japanese History Textbooks » dans la livraison pour 2001 de la Revue Bibliographique de Sinologie (pp. 3-6).
Rien de tel dans Memory and Healing. Non seulement la remarquable bibliographie qui est jointe à larticle de Takashi Yoshida (« Refighting the Nanking Massacre : the Continuing Struggle Over Memory ») permet au chercheur scrupuleux de poursuivre son enquête (sil sait le japonais ), mais le souci dobjectivité a fait que lon y donne la parole à un des rares historiens négationnistes, Higashinakano Shudo (« The Overal picture of the Nanking massacre », pp. 95-117). On peut découvrir en le lisant le gros de largumentaire de ces derniers, présent aussi dans louvrage de Tanaka Masaaki cité plus haut : on na pas de témoignage direct des massacres supposés, notamment dans la presse de lépoque. Diverses photographies souvent reproduites sont truquées. Les autorités communistes nont dénoncé le prétendu massacre que dans les années 1980, pour faire face aux conséquences politiques de louverture du pays aux influences étrangères et notamment, japonaises. On reconnaît le sophisme employé récemment par un journaliste à succès qui a voulu nier lattentat du 11 septembre dernier contre le Pentagone à Washington. Certaines pièces du dossier sont douteuses donc tout le dossier est douteux ! Il en est fait une exploitation politique, donc cest une fabrication politique ! On voit même un certain Fujioka Nobukatsu avancer que les soldats désarmés chinois qui sétaient mis en civil pour échapper à la captivité ayant par la même violé les conventions de Genève avaient été légitimement exécutés. Pis, ils avaient entraîné par leur acte de lâcheté la suspicion sur les civils, ce qui avait provoqué certaines bavures, évaluées par notre auteur à 47 personnes tuées par erreur !
Minutieusement, divers auteurs rétablissent, eux, les faits. Ils montrent, notamment, comment louverture des archives de la Yale Divinity School Library en 1997 a permis davoir accès à la correspondance de missionnaires américains présents à Nankin durant le massacre, dont le journal intime de John Rabe, publié au Japon dès 1997 et connu depuis par le livre dErwin Wickert : The Good Man of Nanking : The Diary of John Rabe (New York, Alfred Knopf, 1998). Les photographies du livre publié en 1996 à Chicago par Shi Young et James Yin : The Rape of Nanking : An indeniable History in Photographs ont fait lobjet dune sélection rigoureuse qui en a écarté les montages ou les documents douteux. Les « négationnistes » en sont réduits aux manipulations et aux falsifications : ainsi Tanaka Masaaki, a délibérément réécrit ou déplacé 900 phrases et mots du journal de guerre du général Matsui Iwane (dont il avait été le secrétaire ) pour atténuer le choc des révélations sur les atrocités contenues dans le journal dun autre général massacreur, Nakajima Kesago, publié en novembre 1984. Larticle de Lee En-han, « The Nanking Massacre Reassessed : A Study of the Sino-Japanese Controversy Over the Factual Number of Massacred Victims », ne laisse aucune place au doute. Jajouterai quil est inutile den rajouter, comme lon parfois fait les autorités de Pékin depuis linauguration du mémorial du massacre à Nankin en 1985 ou comme la fait Inés Chang dans son best seller au titre provoacateur : The Rape of Nanking : The Forgotten Holocaust of World War II (New York, Harper Collier, 1997) : culpabiliser le peuple japonais tout entier est aussi dangereux et faux que de vouloir nier les crimes commis en Chine par la soldatesque impériale. Aussi insisterais-je sur lémouvant article de Haruko Taya Cook (« Reporting the Fall of Nankin and the Suppression of a Japanese Literary Memory of the Nature of a War » ) : on y découvre luvre du romancier Ishikawa Tatsuzo (1905-1985) : comme reporter du grand journal Chu Koron il a suivi une section de larmée japonaise du 12 novembre 1937 au début janvier 1932 dans la région de Nankin et en a tiré en mars 1938 une série de reportages intitulés « Vies de soldats » (Ikiteiru heitai), que la censure a aussitôt interdit ; livresse de meurtres et de viols des soldats japonais y était présentée sans fard.