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Jocelyne Fresnais, La protection du patrimoine en République populaire de Chine 1949-1999
En cette saison, le titre résonne comme une provocation, au vu des destructions massives de tant de quartiers anciens de Pékin, victimes dune modernisation imposée par quelque instance gouvernementale insaisissable, laissant sériger des immeubles dépourvus darchitecture et démotions. La presse chinoise sen est même fait lécho, via son aile critique au sud du pays : le Nanfang zhoumo du 4 juillet 2002, en partie traduit par Courrier international (n° 620, 19-25 septembre 2002), consacre quatre pages aux démolitions capitales et irréversibles de la ville bâtie sous la dynastie mongole. Lorganisation spatiale et le tissu urbain avaient survécu aux dynasties successives, aux attaques et aux guerres du XXe siècle, aux années maoïstes et, las, nont pu résister aux assauts de la spéculation que ni une réglementation indigente, ni une gestion urbaine inexistante ne peuvent endiguer. Pourtant, nombre dintellectuels en Chine, de cadres, darchitectes ou durbanistes partagent cette désolation qui est loin de représenter un luxe doccidental en mal dexotisme asiatique.
Or, Jocelyne Fresnais annonce demblée la couleur avec un titre dépourvu dambiguïté sur lexistence dune protection du patrimoine en Chine depuis plus dun demi-siècle. Serait-on face à un système à deux poids deux mesures, à cette insondable pensée chinoise qui sert à justifier tant dincompréhensions ? En fait, lélément de réponse est glissé dès les premières pages de lintroduction, sans tambours ni trompettes, cest de " monu-ments historiques " quil sagit essentiellement dans cette somme, issue dune thèse de doctorat remise à jour, que lappellation de " patrimoine " vient relayer sans commentaire. De cette généralisation un tantinet abusive, et sans information du lecteur, résulte un certain embarras, qui se poursuit lorsque la terminologie très codifiée en ce domaine se retrouve malmenée.
En effet, le patrimoine bâti et la protection quil suscite ont leurs codes de langage qui, au-delà dune simple dénomination, correspondent à la mise en place de lois, de documents durbanisme et de règlements. Cest en partie à cette entreprise que Jocelyne Fresnais a consacré sa thèse, en mettant patiemment au jour lensemble des réglementations que la Chine a promulgué depuis l949 et surtout au cours des deux dernières décennies. Toutefois, la mise en perspective du système chinois et du système français en matière de protection du patrimoine bâti est particulièrement complexe car elle nécessite une bonne connaissance des deux milieux, en Chine et en France.
Nombreux sont ceux qui, en France, assimilent monuments historiques et patrimoine et ignorent de facto ce qui relève du patrimoine urbain. Les quartiers où lon a plaisir à vivre, où lon apprécie la qualité des espaces et larchitecture densemble, sont célébrés pour leur côté " villages " tant vanté par les médias et les publicistes. Le patrimonial réside alors dans lambiance du bistrot, la devanture de lépicerie, le caractère bon enfant que ces espaces suscitent, ingrédients qui ont contribué au succès du film " Le fabuleux destin dAmélie Poulain " ; imagine-t-on pour autant que lagencement des espaces entre eux, cet art dallier pleins et vides dans des architectures qui ne sont pas nécessairement savantes, fait partie du patrimoine ? Cest bien cette omission qui provoque tant de ravages dans des métropoles en quête de modernité, quelle quen soit la latitude. Jocelyne Fresnais a aussi appliqué cet a priori à sa réfle-xion en utilisant indifféremment les deux termes, " patrimoine " et " monuments historiques ". Ne traduit-on pas le fameux wenwu de manière officielle par " patrimoine " ?
Wenwu fait référence à lobjet monumental, remarquable, classé ou en voie de classement. Il peut sagir dédifice, dun vestige archéologique, dun site célèbre par son histoire mais en aucun cas dun quartier comme celui de Nanchizi, qui vient dêtre détruit à deux pas de la Cité Interdite. Une proposition de glossaire commenté aurait ainsi été très précieuse dans un tel ouvrage de référence ; lauteur aurait pu y justifier des choix qui laissent perplexes sur les possibles contresens quils génèrent. Par exemple, baohu danwei est défini comme " unité de protection " ou " unité de sauvegarde ", avec les ambiguïtés liées à cette terminologie maoïste (danwei) aux sens multiples, alors quil sagit plutôt dune " entité protégée ", et une traduction française appropriée accolerait simplement ladjectif " protégé " à lobjet ou lédifice concerné.
De même, la confusion des termes en français naide pas le lecteur : " larchitecture contemporaine porte préjudice à lenvironnement des biens séculaires " nous rapporte lauteur (p. 377), qui identifie le terme darchitecture auquel sont liées implicitement des qualités spatiales, et celui de construction récente qui ne sencombre pas de tels caractères. Ce mélange des genres dépasse le cadre du vocabulaire pour porter aussi sur les outils de la protection du patrimoine et leur mise en uvre. Ainsi dans le chapitre consacré à Pingyao devenu célèbre hors de Chine grâce au festival international de photographie qui se tient dans ce " petit Pékin ", classé sur la liste du patrimoine mondial de lUnesco en novembre 1997 lauteur nous rapporte avec précision les mesures prises et leurs effets en termes de méthodes de gestion et de règlements, pour conclure que le gouvernement local " est en mesure de faire appliquer les lignes directrices du programme de planification ". Cest là bien idéaliste dénoncer que la seule promulgation réglementaire vaut application. Cette générosité de cur révèle sans doute un déficit danalyse sur place ou dinterviews directes, quand on sait à quel point les personnalités chinoises intéressées par le sujet réclament que des personnes qualifiées soit à même dassurer un suivi urbain et de faire respecter la loi en matière de patrimoine.
Le patient travail de décryptage des textes réglementaires chinois est toutefois unique et est à souligner. Il est accompagné dun repérage cartographique des sites, ce qui nest guère courant, de la liste des 750 monuments historiques nationaux et dune sérieuse bibliographie, dont un esprit chagrin noterait quelle sarrête plus souvent quon ne le souhaite aux années 1980, bien que la décennie suivante ait été particulièrement riche en recherches sur le sujet. Ajoutons que les nombreuses notes et les illustrations en noir et blanc apportent dutiles respirations à louvrage. Pour conclure, il sagit assurément dun ouvrage sérieux, qui défriche un terrain encore peu exploré, édité par le Comité des travaux historiques et scientifiques du Ministère de léducation nationale et préfacé par Flora Blanchon, au dynamisme connu pour explorer de nouveaux champs. Après un bref historique, lauteur présente deux chapitres chronologiques consacrés à lélaboration des lois de 1949 à 1976, puis de 1977 à 1999, dont une partie trop légère, à notre goût, pour la période 1985-1999. Suit un chapitre expliquant les structures administratives et les moyens financiers, consacré donc essentiellement à lobjet isolé et classé, à la gestion des musées et aux procédures de classement. Les principes et les techniques de restauration, la maintenance et lentretien sont ensuite présentés de manière détaillée. Le corps même de cet ouvrage imposant de 469 pages non compris les annexes se clôt par la partie réservée aux villes, dont on a évoqué les faiblesses. Souhaitons quil soit suivi et amplifié par dautres travaux qui viendront compléter cette toute première avancée dans un domaine encore trop méconnu.