BOOK REVIEWS
Joe Studwell, The China Dream. The Elusive Quest for the Greatest Untapped Market on Earth
En douze chapitres, concis, clairs et bien argumentés, Joe Studwell, se livre à une déconstruction méthodique du mythe entourant le marché chinois qui hante les esprits des gouvernements et des chefs des grandes entreprises des pays occidentaux. Recourant à un sens de la formule bien aiguisé, et puisant son argumentation dans des sources pertinentes, lauteur montre à quel point le marché chinois risque de continuer à décevoir bon nombre dinvestisseurs occidentaux, comme cela a été le cas à plusieurs reprises depuis la rencontre entre la Chine et lOccident. Lauteur explique avec brio les ressorts psychologiques et économiques qui poussent les investisseurs occidentaux à investir des sommes colossales sur un marché qui na pas cessé de les décevoir. On y découvre un mélange damnésie et dabsence de sens critique à légard dune situation politique et économique de la part des milieux daffaires et des gouvernements occidentaux.
Dans la première partie, Joe Studwell semploie à décrire, à la fois du côté des investisseurs étrangers comme du côté du gouvernement chinois, comment sest formée lidée dun miracle économique à partir de 1978.
Du côté des étrangers, lauteur recense de façon croustillante les différentes postures. Il y a ceux qui refont les calculs lesquels savèreront douteux par la suite sans quon le dise haut et fort , comme Larry Summers qui, avant dentrer dans léquipe du Président Clinton, applique dans une étude de la Banque mondiale un calcul en parité de pouvoir dachat qui permet à la Chine de multiplier son revenu par tête par trois dun coup de baguette magique, entretenant ainsi la promesse dun marché intérieur solvable colossal. Puis, il y a les professionnels de la création des mythes et des marchés, comme la banque dinvestissement américaine Goldman Sachs et autres opérateurs financiers, qui essaient de convaincre les investisseurs de limminence dun développement exponentiel du marché chinois. On trouve ensuite une catégorie très particulière, celle des intermédiaires qui expliquent « la complexité chinoise ». Ce sont parfois les mêmes que ceux de la deuxième catégorie, ou encore des hommes politiques « amis de la Chine », à limage dun Kissinger qui monnaye ses relations avec le gotha politique chinois à coup de centaines de milliers de dollars. Enfin, il y a ceux qui succombent au mythe au sein des grandes entreprises et des gouvernements, en investissant des centaines de millions de dollars sans vraiment se préoccuper de décrypter la réalité économique et politique chinoise.
Du côté chinois, on compte également plusieurs catégories dacteurs. Il y a bien sûr les intermédiaires, qui travaillent dailleurs souvent pour ceux qui créent le mythe du côté des étrangers. Mais cest surtout le gouvernement chinois qui a su entretenir limage dun Eldorado. Studwell explique comment les dirigeants chinois ont manié avec beaucoup dadresse plusieurs instruments de relations publiques : des investissements immobiliers colossaux qui abritent pourtant parfois de véritables « villages de Potemkine », un contrôle sévère de linformation sur la situation politique et économique, des mensonges statistiques, ou bien encore une capacité à sortir les grands patrons des multinationales et les chefs dEtat de leur routine quotidienne lors de leurs visites fastueuses sur le territoire chinois. Studwell indique bien comment le mythe du marché chinois est à limage de nimporte quel phénomène spéculatif. Il se crée et se développe en fonction danticipations de différents acteurs, en partie déconnectées de la réalité, et qui ont un objectif commun, à savoir de gagner beaucoup dargent très rapidement.
La deuxième partie de louvrage traite des lendemains qui déchantent. Les grandes firmes étrangères, à lexception de quelques-unes, se réveillent avec la « gueule de bois » et se rendent compte à partir de 1994, après les exubérances du début des années 1990, que leurs investissements seront loin de leur rapporter ce quelles avaient escompté. Studwell explique avec pertinence comment les projections ont été tronquées par des statistiques peu fiables ou manipulées, par la pérennité dun système bureaucratique omniprésent dans léconomie qui limite le développement des activités des investisseurs étrangers (ou privés chinois). Néanmoins, lauteur montre comment ces mêmes entreprises sont sur le point de refaire les mêmes erreurs avec ladhésion de la Chine à lOMC.
Enfin, la dernière partie de louvrage tente doffrir une image plus proche de la réalité de léconomie chinoise, en montrant les faiblesses du développement économique de la Chine depuis 1978. Lauteur conclut à la possibilité dune crise fiscale et bancaire dans les années à venir si aucune mesure drastique ne vient changer le mode de fonctionnement de léconomie chinoise, notamment au regard de la gouvernance des entreprises et des institutions publiques. Les investisseurs internationaux auront donc été prévenus. Cest certainement la partie la moins originale du livre, même si on y retrouve quelques idées intéressantes sur les limites des droits de propriété hybrides des entreprises collectives rurales, qui étaient responsables, selon certains observateurs, du miracle économique chinois ; ou bien encore sur la dualité du système productif chinois avec un secteur dynamique soutenu par les entreprises privées taiwanaises, hongkongaises et chinoises qui opèrent dans des districts très localisés du littoral, et qui supportent à bout de bras des entreprises publiques ou semi-publiques en pleine déconfiture, lesquelles occupent néanmoins une part toujours majoritaire de léconomie chinoise.
On regrettera que lauteur ait délaissé la question importante de la diffusion progressive des savoir-faire et de la technologie dans le tissu industriel national. Indépendamment de la nationalité des investisseurs, la question de savoir si les entreprises nationales vont pouvoir progressivement remonter la chaîne de la valeur ajoutée est centrale pour lavenir de la croissance. Comme le montre lexpérience taiwanaise, ou même japonaise et coréenne (même si dans ces deux pays la diffusion des technologies étrangères sest opérée par le biais de la coopération technologique plutôt que par des prises de participation majoritaire ou la création dusines sur le sol national comme en Chine), le rôle des firmes étrangères est souvent capital dans ce processus. Lauteur évoque rapidement (p. 226) le fait que la Chine dégage peu de valeur ajoutée sur les exportations (différence entre la valeur des biens importés qui sont assemblés et retravaillés et celle des biens exportés), signe de faibles compétences technologiques des unités travaillant pour lexportation, mais ne dit mot sur les transferts de technologie. Peu détudes ont été réalisées dans ce domaine pourtant capital, et il aurait été intéressant que lauteur y consacre un chapitre.
Hormis cette critique, louvrage de Joe Studwell offre une description salutaire de la réalité économique en Chine. Grand public, il peut être lu avec profit par tous ceux qui souhaitent comprendre la vraie nature du développement économique chinois. Il devrait être lu en priorité par tous les investisseurs étrangers qui pensent avoir découvert lîle au trésor avec le marché chinois. Malheureusement, cet état des lieux risque dêtre vite oublié : le désir de conquête combiné à lamnésie est omniprésent dans les milieux daffaires. Le rêve du marché chinois a encore de beaux jours devant lui et risque donc de faire encore de nombreuses victimes.