BOOK REVIEWS
Emmanuel Ma Mung, La Diaspora chinoise, géographie d’une migration
Linscription de « la Chine et les Chinois de la diaspora » au programme du CAPES et de lagrégation dhistoire et de géographie en 2000-2001 a donné lieu à la publication ponctuelle douvrages destinés à des non spécialistes. Lélargissement de la question proposée amène la plupart de ces travaux, de factures très inégales, à privilégier les aspects géographiques de la Chine, et à ne traiter que de manière annexe la question des « Chinois de la diaspora », renforçant un sentiment dembarras dans le choix des sujets et de méconnaissance de la question, telle quelle avait été initialement proposée. Si la plupart de ces publications ont fait lobjet de comptes rendus, lune dentre elles est, de manière fort injuste, passée presque inaperçue, du moins pour les non spécialistes.
Louvrage écrit par Emmanuel Ma Mung, géographe, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire Migrinter, est à la fois une présentation synthétique de la migration chinoise et une réflexion très actuelle sur les processus de sa transformation en diaspora. Louvrage, divisé en trois parties et huit chapitres, a demblée le mérite doffrir une vision densemble, dans lespace et dans le temps, des flux migratoires chinois, prenant en compte à la fois lespace dorigine (la Chine continentale), les espaces darrivée et de réémigration. En cela, létude dEmmanuel Ma Mung complète et réactualise le seul ouvrage synthétique de référence disponible jusqualors en français : le « Que sais-je ? » (PUF) de Pierre Trolliet, la Diaspora chinoise.
La première partie, « Les migrations internationales chinoises », débute avec un très bref historique de la migration chinoise, qui permet de rappeler limportance diachronique du phénomène. Puis lauteur replace les mouvements de populations chinoises et/ou dorigine chinoise actuels dans le contexte général, complexifié et mondialisé, des migrations internationales. Il rappelle aussi (p. 22) que la dynamique des flux migratoires chinois repose prioritairement sur des réseaux ou des filières, à limage des migrations Qingtian à destination de lEurope. Soulignant la complexité des statuts (politiques, administratifs, culturels) de ceux que lon regroupe sous le vocable « Chinois doutre-mer », il fait sienne les catégorisations (discutables) des « Chinois doutre-mer » (huaqiao et huaren) proposées par Wang Gungwu (1).
On regrette néanmoins que lauteur adhère à une hypothèse formulée selon laquelle les différents groupes « échangent de plus en plus entre eux et les distinctions tendent ainsi à sestomper, les relations principalement commerciales au départ se diversifient sur tous les plans et sont de plus en plus imbriquées » (p. 29). Il nest pas question de nier lexistence de relations, mais leur généralisation, appelée par le professeur Wang, est actuellement au mieux une hypothèse de travail, encore peu corroborée par les études empiriques. Le chapitre se clôt sur une présentation rapide des « nouvelles catégories de migrants », incluant les migrations qualifiées, et par une description des modalités clandestines de départ et darrivée utilisées par un nombre croissant de Chinois de la République populaire de Chine (RPC). Le second chapitre brosse un tableau général des principales régions dorigine des migrants chinois en Chine et en Asie du Sud-Est, ainsi que la politique de la RPC à légard des communautés émigrées depuis 1978.
Dans la seconde partie de louvrage, « La diaspora chinoise dans le monde », lauteur dresse un panorama actualisé de la situation des communautés chinoises dans leurs espaces daccueil (Asie du Sud-Est, Amérique du Nord et du Sud, Europe, archipels et Afrique). Lauteur souligne avec raison les difficultés quil y a à comptabiliser les « Chinois doutre-mer ». En plus des défaillances des appareils statistiques nationaux, on se trouve confronté à la complexité et à la diversification des statuts administratifs (nationalités), culturels (assimilation) des situations des personnes dorigine chinoise. Un nombre important dentre elles ne se reconnaissent plus dans lappellation très spécifique de « Chinois doutre-mer » (huaqiao) et refusent dêtre comptabilisées comme tels. Bien souvent installées depuis plusieurs générations dans les Etats « daccueil », elles revendiquent le statut de ressortissants et de membres à part entière des populations locales. En Asie du Sud-Est, elles ont souvent été poussées dans cette démarche par les gouvernements locaux refusant, pour des raisons politiques, lexistence de ces catégories. Ces difficultés expliquent que le seul dénombrement global demeure aujourdhui encore celui de Poston (1994) (2). Cette seconde partie se termine avec un chapitre détaillé consacré à la présence chinoise en Europe. La place faite à lItalie, lEspagne et les pays de lancien bloc communiste souligne limportance actuelle de lEurope comme destination des nouveaux migrants chinois. On regrettera néanmoins lancienneté des cartes de localisations présentées, notamment pour la France (1990). Depuis la parution de louvrage, plusieurs monographies nationales et européennes sont venues compléter les données utilisées par lauteur, confirmant limportance de cette destination (3).
Loriginalité de louvrage se manifeste plus particulièrement dans la troisième partie, « Lorganisation de la diaspora chinoise ». Selon Emmanuel Ma Mung, la diaspora chinoise se structure autour dun pôle entrepreneurial, dont les activités seraient « fortement articulées » entre elles et une « organisation économique dans laquelle la dimension identitaire est prépondérante » (p. 117). Les données empiriques utilisées par lauteur sont principalement tirées denquêtes menées en France sur les activités des entreprises chinoises (chapitre 7). Lorganisation économique y est décrite comme « cohérente », marquée par limportance des liens inter-entreprises où le caractère ethnique prévaut (p. 119). Labsence de comparaison tend néanmoins à restreindre les possibilités de généralisation du cas français. Le chapitre se clôt sur une présentation de la mise en « scène » spatiale des commerces chinois, essentiellement dans la région parisienne.
Lauteur continue sa démonstration en sinterrogeant, dans le chapitre 8, sur le caractère diasporique de la migration chinoise. Il postule que la diaspora (dispersion dun corps social en une multiplicité de lieux, p. 117) présente deux caractères morphologiques : la multipolarité de la migration et linterpolarité des relations. Elle maintient sa cohérence grâce à une conception particulière de lextra-territorialité, « cest-à-dire une forme particulière de représentation de soi dans lespace » (p. 147). Cet espace serait fantasmé, imaginaire et utopique, émergeant de la conscience que la diaspora prend de sa dispersion avec, pour principale conséquence, une vision réticulaire des relations et des espaces où le support humain serait prédominant. La culture et le corps social deviendrait un « territoire » de rattachement.
Lauteur ajoute que la diaspora aurait également un rapport particulier au temps et à lespace, en constituant une mémoire/histoire particulière : « Cette généalogie par la continuité quelle instaure entre des individus situés dans des pays différents en leur offrant une origine commune sert de base à la formation dune identité ethnique transnationale » (p. 158). Enfin, la dispersion spatiale de la diaspora serait utilisée comme ressource, notamment par la formation de réseaux commerciaux transnationaux. Peu dexemples, on le regrette, soutiennent ce cadre théorique pourtant séduisant, qui semble attendre encore les études empiriques susceptibles den ajuster davantage les éléments constitutifs. Mais cest sans doute un mérite supplémentaire de ce petit ouvrage destiné aux agrégatifs que de dégager des perspectives de recherche.