BOOK REVIEWS
Susan Brownell et Jeffrey N. Wasserstrom éds., Chinese Feminities and Chinese Masculinities
Cette série dessais extrêmement intéressants et détaillés, est consacrée à la définition des féminités et des masculinités en Chine, depuis les Qing jusquà aujourdhui. Les définitions du sexe sont envisagées selon différentes perspectives, le point de vue légal, lapproche littéraire et des études de cas ethnographiques. Louvrage est divisé en huit parties, comprenant chacune deux chapitres sur un même thème, lun consacré aux femmes, lautre aux hommes.
La première partie sintéresse à la définition du sexe dans la législation des Qing, et à la façon dont le droit régulait les comportements des hommes et des femmes du XIIe au XIXe siècle. Les notions de chasteté, de sexualité et de vertu féminines avaient été définies par les tribunaux Ming. Les femmes qui échouaient à préserver leur chasteté et leur vertu, ou qui étaient perçues comme affirmant leur sexualité, étaient pénalisées par le système légal. Selon la même logique, la masculinité des hommes était aussi limitée sous les Qing : les déviants et les marginaux, tels que les vagabonds, les bandits, les moines bouddhistes et les prêtres taoïstes, y étaient considérés comme des mâles dangereux, car incapables de réguler leur sexualité.
La deuxième partie explore la définition des femmes et des hommes dans le mariage et le système familial, du milieu des Qing au début de lère républicaine. Ce chapitre offre un aperçu de léducation donnée aux filles pour en faire des épouses conformes au confucianisme. Par contraste, les jeunes Chinois des années 1920 considèrent la famille comme un obstacle à lautoréalisation individuelle et à laccomplissement personnel. Les jeunes hommes considèrent que la structure familiale traditionnelle fondée sur le patriarcat est étouffante, et militent pour labolition des mariages arrangés et pour la famille nucléaire.
La troisième partie examine le rôle des femmes et des hommes dans la littérature chinoise. Elle explore linfluence des femmes écrivains dans lexpression dun soi féminin, et la façon dont elles-mêmes se positionnent dans la tradition littéraire. A un certain degré, les femmes tentent de négocier leurs rôles décrivains et dindividus intégrés dans la structure patriarcale traditionnelle, tout en essayant de sen émanciper. Dans le deuxième chapitre de cette partie, Larson envisage la domination continue des hommes écrivains sur le monde littéraire chinois, où ils sont considérés comme des « experts ».
La quatrième partie étudie les marginaux, femmes et hommes, dans la société chinoise. Hershatter sintéresse aux prostituées de Shanghai au début du XXe siècle, et Ownby au banditisme masculin. Les deux groupes étaient des parias non insérés dans la structure sociale. Le statut des prostituées sest dégradé au fil des décennies, transformant les courtisanes urbaines en prostituées des rues. Ownby, lui, montre que les bandits sont décrits différemment selon les diverses uvres littéraires les visions négatives les représentaient comme des rebelles pervers, alors que des images positives en faisaient des héros romantiques. Ils étaient souvent considérés comme des célibataires frustrés, dans la mesure où leur vie de vagabondage les empêchait de se marier.
La cinquième partie aborde la question plus contemporaine de la redéfinition des sexes durant la période communiste. Pendant la Révolution culturelle, les femmes ont fait entendre leur voix, sont devenues extrêmement visibles et violentes. Cette modification des caractéristiques féminines était accompagnée dun changement vestimentaire : les femmes shabillaient en pantalons et vestes Mao afin de masquer leur féminité et de présenter une image plus masculine. Larticle sur les travailleurs rebelles de Shanghai est le pendant de ce texte. Les jeunes travailleurs, en quête didentité, étaient activement impliqués dans les mouvements syndicaux. Mais il existait également des rebelles qui exprimaient leur identité par des actes de machisme relevant du gangstérisme.
La sixième partie explore le corps sexué, et analyse les corps masculin et féminin dans une perspective danthropologie médicale. Ici, lapproche chinoise des menstrues, du sang et de lénergie, le qi, sont analysés en relation avec la reproduction, la fertilité et le pouvoir associés aux femmes. Furth analyse tout particulièrement les utilisations médicales du sang des femmes en Chine, et identifie différents types de sang servant divers objectifs. Ainsi, le sang simple, le sang menstruel et celui du placenta avaient différentes fonctions. Le qi est associé à la masculinité. Le qigong est souvent considéré comme doté de pouvoirs curatifs, et ceux qui possèdent les techniques du qigong sont vus comme très masculins. La popularité du qigong en tant quart martial, a entraîné une multiplication du nombre de maîtres de qigong, tous perçus comme très masculins.
La septième partie sintéresse aux sexes et à lidentité sexuelle dans la Chine contemporaine depuis les années 1980. Evans retrace le changement du rôle des femmes en tant quépouses depuis le début du communisme jusquà nos jours, alors que Jankowiak analyse les relations entre hommes et femmes au sein de la famille et du lien parents-enfant, et démontre que dans la Chine urbaine contemporaine, lenvironnement contribue à une relation plus forte entre le père et lenfant.
La huitième partie examine le sexe et la sexualité dans les minorités ethniques de Chine. Schein explore la façon dont les femmes des minorités ont été construites pour être différentes de la majorité Han, et démontre quil existe un orientalisme interne que les élites et dirigeants ethniques ont facilité en créant des images exotiques pour la consommation han. Dans le chapitre suivant, Litzinger sintéresse aux hommes yao, à leur vie sociale et à sa propre interaction avec eux. Il tente dexpliquer par la représentation dominante officielle, les différences entre les activités et le comportement de ces hommes yao.
Cet ouvrage offre de riches informations sur les nombreux aspects des représentations féminines et masculines en Chine continentale. Il est cependant dommage quil ne contienne pas davantage de chapitres sur les changements dans la Chine contemporaine, particulièrement depuis les réformes et après les années 1990. Louverture de la Chine au monde, la modernisation et le développement rapides, couplés à la globalisation, ont abouti à de vastes changements dans tous les aspects de la vie, y compris dans la vision que les hommes et les femmes ont deux-mêmes, dans leurs réponses à leur identité, leur sexualité, à la famille et au mariage. Par exemple, des produits de consommation tels que les produits de beauté, ont certainement influencé récemment la redéfinition des idéaux féminin et masculin. De même, la littérature chinoise moderne dépeint des hommes et des femmes et leurs représentations dun nouveau genre. Il aurait été souhaitable que louvrage incorpore quelques chapitres sur les changements en cours. Ce pourrait être lobjet dun nouveau projet.