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Aide bilatérale et droits de l’hommeLes donateurs devraient adopter une stratégie plus cohérente
L'aide internationale à des projets ayant pour objectif d'améliorer la situation des droits de l'homme en Chine sont devenus, depuis la fin des années 1990, un élément central de la politique de nombreux pays occidentaux (1). Ces projets s'insèrent dans une politique de « dialogue et de coopération » bilatérale qui a remplacé les approches multilatérales plus critiques. Du début au milieu des années 1990, celles-ci consistaient à faire voter des résolutions annuelles à la Commission sur les droits de l'homme des Nations Unies ; c'était là le principal moyen d'action des pays occidentaux contre les violations continues des droits de l'homme en Chine (2).
A la fin des années 1990 ont été instaurés des « dialogues », le plus souvent à huis clos entre diplomates, mais aussi parfois lors de séminaires réunissant des « experts » des deux parties. Parallèlement, des programmes de « coopération » financés par l'Occident étaient mis en place en Chine. La plupart de ces projets concernaient le droit et la réforme légale, sujets que la Chine et ses partenaires jugeaient suffisamment neutres pour constituer le point d'entrée à leur coopération.
Cet article examinera la stratégie qui sous-tend les programmes d'aide bilatérale en matière de réforme judiciaire ainsi que d'autres projets relatifs au droit (3) entre la Chine et neuf pays : l'Australie, le Canada, le Danemark, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni, ainsi qu'une institution régionale, l'Union européenne (UE).
Le choix des pays a été guidé par deux critères principaux. Premièrement, leurs programmes s'inscrivent dans un ensemble de mesures de « dialogue et de coopération sur les droits de l'homme » qui pour la plupart existent au moins depuis cinq ans (4). Deuxièmement, un programme important d'aide à des projets juridiques, lié plus ou moins explicitement au dialogue sur les droits de l'homme, a été mis en place durant cette période (5). Des informations sur ces programmes ont été collectées à partir de sources diverses, notamment de la documentation fournie par les gouvernements et les agences d'exécution (6), ainsi que des entretiens avec des employés de ces agences et des représentants des donateurs (7).
Bien que les Etats-Unis se soient fortement engagés à financer des programmes sur « l'état de droit » en Chine, en partie pour répondre aux préoccupations concernant la situation des droits de l'homme, ce pays n'est pas envisagé dans cette étude parce qu'il n'a pas adopté l'approche « de dialogue et de coopération ». Celle-ci implique en effet d'éviter toute action comme le dépôt de résolutions de censure à la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme. Le dialogue entre les Etats-Unis et la Chine sur ces sujets a été plus souvent fermé qu'ouvert ces dernières années. Par ailleurs, des chercheurs se sont déjà livrés à un examen approfondi des programmes juridiques en Chine financés par les Etats-Unis (8), alors que, à notre connaissance, presque rien n'a été écrit en langue occidentale sur les programmes étudiés ici.
Les critères d'évaluation
Même lorsque les chercheurs ont un accès direct à toutes les données et sources nécessaires (documents internes sur les projets, participants et bénéficiaires), il est toujours très difficile d'évaluer l'impact de projets qui ont pour but de transformer les modes de pensée et des comportements institutionnels profondément ancrés. Les causalités sont difficiles à établir, et certaines mesures prises peuvent ne pas avoir d'effets immédiats. Etant donné le manque de transparence qui caractérise les programmes étudiés ici, l'ampleur du champ de la recherche, et le fait que beaucoup de projets sont susceptibles d'avoir un effet plutôt à long terme, il serait peu raisonnable, voire impossible, de se lancer dans de telles considérations. Aussi, l'objectif de cette recherche n'a pas été d'évaluer les effets des programmes d'aide en question, mais plutôt d'examiner la stratégie qui les sous-tend, telle qu'elle se reflète dans leurs procédures et leur contenu. Il s'agit de déterminer s'ils utilisent les moyens et méthodes les plus efficaces pour aboutir à leur objectif, à savoir l'amélioration de la situation les droits de l'homme. Cette approche a bénéficié des conclusions d'études similaires dans d'autres pays. Bien que les droits de l'homme soient un élément des politiques d'aide de nombreux pays depuis les années 1970, ce n'est qu'à partir des années 1980 et 1990 que l'on a tenté d'utiliser l'aide pour faire progresser les droits de l'homme (9). Néanmoins, l'aide politique a été beaucoup moins étudiée que l'aide au développement en général ; et encore moins de chercheurs se sont penchés sur les programmes d'aide consacrés à l'amélioration des droits de l'homme (10). Dans la mesure où une grande partie de l'aide dans le domaine juridique s'est concentrée sur des objectifs économiques — activités de conseil ou financements pour l'élaboration de lois économiques, financières et commerciales, soutien au renforcement des institutions juridiques — l'étude de l'aide dans le domaine juridique a souvent négligé la dimension des droits de l'homme.
Toutefois, plusieurs excellentes études publiées ces dernières années ont permis d'établir des critères que l'on peut appliquer aux programmes ici étudiés (11). Notamment, un rapport du Conseil international pour la politique des droits de l'homme qui a examiné l'aide étrangère à des programmes relatifs à la justice civile et pénale dans quatre pays, en insistant sur le point de vue des institutions et des organisations nationales récipiendaires (12). Les conclusions de cette étude sont pour nous significatives, puisqu'elles portent spécifiquement sur l'aide « au secteur judiciaire » en matière de droits de l'homme. Bien menée, l'aide au secteur de la justice en matière de droits de l'homme peut avoir un impact positif important ; mais, à l'inverse, des projets mal conçus et mis en œuvre peuvent s'avérer néfastes. L'étude propose quatre critères principaux pour déterminer si les programmes d'aide peuvent porter leurs fruits : « le degré d'intégration des droits de l'homme dans le processus de développement dans son ensemble ; une approche stratégique ; des partenariats efficaces et honnêtes qui reconnaissent l'autorité des bénéficiaires dans l'orientation des efforts de réforme ; une attention particulière aux défis qui touchent le secteur de la justice ». A chacun de ces critères correspond un ensemble de recommandations spécifiques et détaillées, dont certaines seront explicitées ci-dessous.
Ces critères d'évaluation se sont révélés d'autant plus pertinents pour notre recherche que les perspectives dégagées par le Conseil international se reflètent dans les entretiens que nous avons menés avec des juristes et des chercheurs chinois travaillant dans le secteur de la justice ; la majorité d'entre eux ayant participé d'une manière ou d'une autre dans des projets d'aide (13). En particulier, ils ont souligné la nécessité d'une stratégie effective basée sur un plus grand contrôle des programmes et des projets par les bénéficiaires, sur une meilleure compréhension des besoins sur le terrain et du contexte politique, ainsi que sur une conception plus large des droits de l'homme que celle adoptée par la plupart des donateurs.
Dans un premier temps, nous ferons une description générale des programmes en commençant par une présentation des différentes approches adoptées par les donateurs étudiés, puis nous engagerons une brève réflexion sur l'état de droit. Nous explorerons ensuite plusieurs questions spécifiques liées à la stratégie : la planification stratégique du point de vue des donateurs et du gouvernement chinois ; les engagements pris par les deux parties concernant ces programmes, y compris les niveaux de financement pour les programmes relatifs à la loi et aux droits ; les effets négatifs potentiels et réels des projets ; le niveau de connaissance du contexte qu'ont les donateurs et les leçons qu'ils tirent de leur expérience ; l'identification des besoins et les personnes chargées d'identifier ces besoins ; les orientations, le choix des partenaires et la coordination entre les donneurs d'aide. Nous conclurons par quelques réflexions sur la manière dont les organismes donateurs pourraient améliorer leurs programmes.
Les questions soulevées ne doivent pas faire oublier que, même si certains refusent de se livrer à des généralisations, les chercheurs et les juristes impliqués en Chine dans ces projets ont pour la plupart le sentiment que leur action profite aux deux parties. Selon l'un d'eux, ils ont servi entre autres à faire comprendre aux étrangers que les Chinois n'avaient pas une vision monolithique des droits de l'homme. Et plus il sera fait dans ce domaine, moins le gouvernement chinois se sentira menacé par les activités relatives aux droits de l'homme, ajoutait-il. Le besoin d'un appui étranger à des programmes relatifs aux droits de l'homme est réel, et l'espace politique pour des programmes qui peuvent encourager et soutenir des individus et des groupes décidés à faire progresser les droits de l'homme en Chine, s'est élargi ces dernières années.
Les approches des donneurs d'aide
Les programmes occidentaux étudiés ici se focalisent généralement sur le renforcement de l'état de droit en Chine. Pour les donateurs du monde entier, cette approche s'inscrit dans une stratégie plus large visant à « renforcer » cet aspect de la « gouvernance » (14), le rattachant à la fois au développement économique et à la démocratisation (15). L'état de droit n'est pas un but isolé, mais est associé à d'autres objectifs (16). Il est généralement admis — peut-être à tort — que les « réformes de gouvernance » entraîneront forcément des progrès pour les droits de l'homme (17). Pourtant, certains commentateurs se demandent si les aides à l'état de droit permettront d'atteindre des objectifs bien moins précis : « L'aide à l'état de droit s'est moins développé en raison de succès tangibles qu'à cause du fort lien apparent entre l'état de droit et les objectifs fondamentaux de l'économie de marché et de la démocratie, objectifs qui constituent de nos jours les deux fondements de l'aide internationale » (18).
En Chine, l'état de droit a été un élément-clé des programmes d'aide bilatérale des pays étudiés ici, dont beaucoup accordent la priorité au développement d'une économie de marché en Chine par la réforme économique. Les multinationales occidentales ont tout intérêt à ce que la Chine développe un système juridique qui puisse protéger leurs investissements, et ce souci explique en grande partie pourquoi les gouvernements occidentaux n'hésitent pas à contribuer à cet aspect du développement de la Chine. Un représentant de la Australian Human Rights and Equal Opportunities Commission (HREOC) (19) a établi un lien entre la coopération de l'Australie avec la Chine en matière de droits de l'homme et l'édification d'un système juridique chinois capable de faciliter le commerce, en soulignant que les engagements de la Chine sur ce point rendaient la coopération plus facile (20). Il n'a toutefois pas fait mention de l'intérêt que pouvait représenter, pour les mêmes raisons, une réforme légale en Chine.
En dépit des engagements qui consistent à faire des droits de l'homme un objectif de la politique d'aide, dans le cas de nombreux pays analysés ici, l'intégration des droits de l'homme dans la politique d'aide au développement quand il s'agit de la Chine, semble relever plus de la rhétorique que de la réalité (21). Soit les donateurs ne préparent pas d'études stratégiques visant à analyser la question des droits de l'homme en Chine et à expliquer comment ils ont l'intention de les aborder, soit ils incorporent les droits de l'homme d'une manière vague et générale dans leurs études (22). Dans l'ensemble, les donateurs n'utilisent guère et ne font pas (ou peu) référence aux informations sur les droits de l'homme en Chine produites par les divers organismes des Nations Unies (23).
Lorsque les droits de l'homme sont mentionnés comme un point central de la coopération avec la Chine, la référence se limite généralement aux droits civils et politiques, avec une attention particulière portée aux femmes, aux enfants et aux minorités. Pratiquement sans exception, les programmes de coopération en matière de justice n'abordent pas les droits économiques, sociaux et culturels — bien que ces derniers soient mentionnés lors de formations sur le droit international des droits de l'homme financées par les pays nordiques — car les donateurs supposent que les programmes traditionnels de développement traitent déjà de ces questions. Alors que certains s'inquiètent de l'accroissement des inégalités en Chine (24), cette préoccupation ne semble pas se refléter dans les programmes consacrés à la justice ou aux droits de l'homme. Peu ont fait l'effort de réfléchir à la manière dont cette extrême inégalité, que la plupart identifient comme leur première préoccupation, se reflète dans le système juridique.
L'attention portée aux droits de l'homme par les donateurs se concrétise de différentes façons : voyages d'études, consultations d'experts internationaux, projets de recherche conjoints et formations de durée variable en Chine et à l'étranger. Les programmes étudiés ici relèvent soit du droit comparatif, soit du droit international des droits de l'homme. La plupart des programmes relèvent de la première catégorie et présentent la pratique occidentale comme un modèle à suivre pour la Chine. Ainsi, la France et d'autres pays donateurs ont orienté leurs programmes vers l'amélioration de la formation des juristes, tout en accordant la priorité au droit économique. L'Allemagne s'est consacrée essentiellement à l'assistance technique dans des domaines spécifiques, en se concentrant sur le droit commercial et financier, même si plusieurs projets en droit administratif ont été mis en œuvre récemment. Une autre approche, toujours fondée sur la modélisation et illustrée par le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'UE, a été de consacrer le plus gros des financements à des programmes juridiques d'ordre général, tout en finançant quelques travaux dans le domaine de la justice pénale et certains projets plus spécifiquement dédiés à la question des droits de l'homme. L'Australie a consacré la majorité de ses financements à des projets relatifs à la justice pénale, et travaille presque exclusivement avec des agences gouvernementales.
Les programmes mis en place par les pays nordiques appartiennent pour la plupart à la seconde catégorie. Bien qu'ils aient aussi commencé par des « échanges juridiques », le Danemark, la Norvège et la Suède ont invariablement fait du droit international des droits de l'homme leur principal point d'entrée. Le fait d'allier un ensemble de règlements reconnus qui s'appliquent à tous (normes internationales concernant les droits de l'homme) à un objectif précis (l'élaboration d'un enseignement en droit qui articule ces normes) constitue à n'en point douter une approche plus stratégique que celles des autres pays. Cette approche découle également de l'expertise spécifique que les pays nordiques ont à proposer à un pays comme la Chine et incorpore donc aussi un certain degré de modélisation et de travail comparatif.
Les programmes des donneurs d'aide diffèrent également beaucoup du point de vue de la mise en œuvre des projets (25). Toutefois, dans la plupart des cas, c'est le ministère des Affaires étrangères d'un pays ou une agence internationale de développement qui alloue l'argent, parfois via un appel d'offre, à des agences chargées de gérer les projets en Chine. Dans le cas des pays nordiques et de l'Australie, une seule agence est responsable de l'ensemble du programme (26), alors que le Royaume-Uni et l'Allemagne confient à plusieurs institutions la conduite des projets. Le Canada, quant à lui, canalise ses financements à travers un petit nombre d'institutions. L'UE, de son côté, a mis en place des organes chargés spécifiquement de mettre en œuvre ses projets principaux, mais il octroie aussi quelques aides à des agences européennes et chinoises pour des projets moins importants. Seuls les Pays-Bas ont adopté une politique de non intervention, par le biais d'un programme de subventions à des institutions chinoises pour des projets spécifiques. Dans l'ensemble, ni la partie chinoise ni les pays donateurs n'ont fixé d'objectifs précis (27). L'approche la plus courante pour parvenir aux objectifs fixés est l'engagement, par le dialogue et la coopération ; cette approche favorisant l'échange ne vise donc pas particulièrement à changer la réalité chinoise. Du côté du donateur, toutefois, on suppose que la Chine veut améliorer la situation des droits de l'homme et qu'elle peut être aidée à le faire grâce à des projets accroissant sa connaissance des solutions mises en œuvre dans le pays partenaire (28) et du droit international (29). Evidemment, il ne serait ni raisonnable ni utile pour les donateurs de fixer des objectifs si les Chinois ne s'engageaient aucunement. Lorsque les donneurs d'aide spécifient des objectifs en matière d'amélioration des droits de l'homme, ces derniers sont souvent très généraux, même s'ils peuvent être parfois ambitieux (30). D'autres estiment en revanche que le respect des droits de l'homme est inhérent à l'état de droit, et qu'il n'est pas besoin de le spécifier (31).
Du côté des pays donateurs, les dialogues sur les droits de l'homme donnent généralement lieu à des déclarations de politique générale, qui affirment la nécessité d'obtenir des « résultats pratiques ». Toutefois, la plupart des donneurs d'aide s'accordent pour dire que les principaux effets de ces programmes ne seront visibles qu'à long terme.
Les agences chargées de l'exécution des projets fixent des objectifs plus précis puisqu'elles doivent justifier leur travail auprès de leurs financeurs. En général, les objectifs énoncés sont plus modestes que ceux qui figurent dans les déclarations des donateurs. Cependant, certains agences ont tendance à exagérer les résultats positifs et leur contribution à ces résultats (32).
L'importance de la Chine dans les politiques d'aide des pays étudiés varie considérablement. L'Allemagne est le deuxième donneur d'aide bilatérale à la Chine après le Japon, et dépense des sommes astronomiques comparées à d'autres pays. La Chine comptait parmi les trois premiers bénéficiaires de l'aide canadienne en 2000-2001, parmi les cinq premiers de l'aide individuelle australienne depuis six ans, mais seulement parmi les vingt premiers récipiendaires de l'aide britannique. En comparaison, le Danemark, la Norvège et la Suède n'accordent pas une grande priorité à la Chine en matière d'aide, dans la mesure où ces pays concentrent leur aide sur un groupe de pays sélectionnés, parfois appelés « pays programme », qui comptent parmi les plus pauvres au monde. Toutefois, en partie à cause de l'attention que portent traditionnellement les pays nordiques aux droits de l'homme dans leur politique étrangère et de la pression de l'opinion publique, le dialogue avec la Chine constitue une priorité pour la Norvège et la Suède. La France concentre son aide sur les pays pauvres situés dans une « zone de solidarité prioritaire » dont la Chine ne fait pas partie. Relativement à sa taille, la Chine occupe une place peu élevée sur la liste des bénéficiaires de l'aide de l'UE (33).
L'« état de droit » comme point d'entrée
Les donneurs d'aide n'ont de cesse d'expliquer que leurs programmes s'intéressent à l'« état de droit ». Pourtant, la Chine n'accepte pas ce terme dans les programmes bilatéraux, et préfère qualifier le travail en cours de « coopération » ou d'« échange juridique ». Le gouvernement chinois est pleinement conscient du fait que les donneurs d'aide occidentaux ne considèrent pas l'état de droit dans un sens étroit ni technique (34), mais qu'ils estiment qu'il fait partie intégrante des fondements de la démocratie libérale.
Le terme d'« état de droit » est très contesté, aussi bien en Chine qu'en Occident, même si ce fait est rarement reconnu par les donneurs d'aide. L'état de droit, souligne Tamanaha, c'est un peu comme la notion de « bien », « tout le monde est pour, mais personne ne s'accorde vraiment sur ce que cela signifie » (35). En l'absence de consensus sur la notion d'« état de droit », il n'est guère surprenant qu'il existe un véritable fossé entre ce que les donateurs croient exprimer et ce que les partenaires chinois visent en participant à ces programmes.
En dépit du soutien officiel à la formule « gouverner le pays conformément à la loi et édifier un Etat socialiste régi par la loi » (36), le débat sur les objectifs de la réforme légale en Chine continue de faire rage. Même ceux qui se montrent optimistes quant à l'évolution de la justice dans ce pays n'estiment pas nécessairement que la Chine s'oriente vers une conception libérale des droits. L'évolution de plusieurs pays asiatiques dotés de systèmes juridiques très développés confirme un tel scepticisme. Comme l'écrit Jayasuriya : « en Asie orientale, l'état de droit — contrairement à ce que l'on suppose dans le paradigme libéral — peut servir à asseoir et à consolider le pouvoir public ou d'Etat » (37). Certains avancent que l'édification d'un système légal est pour l'élite chinoise une tentative de prévenir la démocratisation et de maintenir sa mainmise sur le pouvoir (38).
Quels que soient les objectifs des dirigeants, il existe à n'en point douter des personnes à l'intérieur du système qui travaillent pour un plus grand respect et une plus grande protection des droits de l'homme grâce à la loi. Par ailleurs, il est loin d'être certain que les dirigeants chinois parviendront à contrôler les effets ultimes des réformes juridiques. L'absence de conclusions définitives concernant la réforme ne doit pas pour autant exclure un engagement international. Comme le précise l'étude du Conseil international, même lorsque l'engagement gouvernemental dans la réforme « est très faible », l'aide peut permettre d'accomplir beaucoup de choses utiles, comme soutenir les partisans de la réforme et renforcer des institutions non officielles. Dans tous les cas, les donneurs d'aide ne doivent jamais abandonner leur travail avec les organismes officiels (39).
Toutefois, d'autres éléments remettent en question la place accordée à l'état de droit pour atteindre des objectifs en matière de droits de l'homme. D'abord, les précédents dans d'autres pays — même dans le cas d'un engagement plus fort de la part des donateurs et des bénéficiaires — ne sont guère encourageants (40). Cela peut s'expliquer en partie par le fossé qui sépare les attentes de la réalité : « Les programmes actuels relatifs à l'état de droit dans les pays en développement s'accompagnent d'attentes qui dépassent de beaucoup celles que l'on nourrissait auparavant dans le cadre de programmes d'aide au développement menés au sein de nations plus riches » (41). La question clé est de savoir ce que la professionnalisation du secteur juridique et l'édification d'institutions peuvent accomplir si le gouvernement n'adhère pas aux valeurs normatives que sont les objectifs (énoncés ou non) des programmes mis en place par les donneurs d'aide. Une approche trop technique risque de donner peu de résultats parce qu'elle omet de prendre en compte que certaines déficiences servent des intérêts puissants et que, pour cette raison, il est difficile d'y remédier (42). Par ailleurs, considérer que des améliorations aux plus hauts échelons du système légal auront automatiquement des répercussions sur les niveaux inférieurs est peut-être aussi peu fondé que dans le domaine économique. L'existence dans les grandes villes d'institutions compétentes d'un côté, et à la périphérie d'institutions défectueuses dans les mains des élites locales de l'autre n'est pas un phénomène propre à la Chine, mais commun à de nombreux pays en développement (43).
Ensuite, la mise en œuvre d'un système légal formel n'est pas forcément le moyen le plus approprié pour résoudre certains problèmes qui préoccupent les donneurs d'aide. L'impact probable des efforts visant à améliorer le professionnalisme de la justice pénale en est un exemple. Fu Hualing explique qu'étant donné la priorité qu'accorde le gouvernement chinois à la « stabilité » et à la lutte contre la criminalité, le fonctionnement des tribunaux pénaux est très proche du droit en vigueur. La justice pénale est la plus « professionnelle » et la moins corrompue au regard des normes internes du système chinois (44). Dans les domaines du droit civil et administratif, la mise en place d'un système juridique formel risque d'accroître le coût de la justice pour les pauvres et de la rendre moins accessible (45). En Chine aujourd'hui, une grande partie des affaires les plus difficiles sont défendues par des « avocats aux pieds nus » sans formation (46), et beaucoup de ruraux s'adressent à des « conseillers juridiques », et non à des avocats (47). Dans certains endroits, les avocats qualifiés tentent d'empêcher ces « para-juristes » de défendre ou de conseiller des clients (48).
L'attention portée au système juridique formel ne reflète pas nécessairement la manière dont les droits sont perçus dans la société. En Chine rurale, les protestataires s'appuient sur les lois et les règlements pour faire valoir leurs arguments, mais ne portent que rarement leur plainte devant un tribunal (49). De tels phénomènes soulèvent des questions sur l'implantation des institutions juridiques dans la société. Comme l'ont souligné les conclusions d'un séminaire, « si la réforme judiciaire n'est qu'un instrument social (…) [elle] doit émaner de — ou se fonder sur — un changement social sous-jacent ou une demande endogène. Dans certains domaines, par exemple celui des minorités ethniques, une pression extérieure sur la population ou sur le gouvernement est peut-être le point de départ le plus efficace » (50).
Un manque de planification stratégique
« L'aide au secteur légal est souvent mal coordonnée et planifiée. Les réformes porteraient plus de fruits si les donateurs et les bénéficiaires adoptaient des approches plus stratégiques. Au niveau national, des politiques et des projets nationaux clairs devraient être formulés. Les donateurs devraient participer à ces efforts. Ils devraient mieux coordonner leurs activités, éviter les doublons, et parfaire leur compréhension des besoins locaux (51) ».
Force est de constater que la planification stratégique préconisée par le Conseil international transparaît très peu dans les programmes analysés ici. La formule « gouverner le pays conformément à la loi et édifier un Etat socialiste régi par la loi », incorporé en 1999 dans la Constitution, est souvent citée par les donneurs d'aide comme un principe guidant leur travail sur le terrain. Mais cette modification constitutionnelle n'a été suivie d'aucun plan de réforme : le gouvernement chinois n'a pas développé de projets concrets concernant la réforme du secteur judiciaire, l'amélioration des droits de l'homme, ou le système juridique dans son ensemble. De nombreux juristes appellent depuis quelque temps déjà à la mise en place d'une planification de la réforme judiciaire, car ils considèrent que les réformes partielles du système sont souvent plus dommageables que bénéfiques.
Pour le moment, les seuls plans qui existent sont des documents de routine publiés séparément par des ministères ou des départements (52). Pour la plupart, ils ne portent pas sur la réalisation d'objectifs généraux concernant le système légal, et encore moins sur les droits de l'homme, mais sur le développement d'une institution particulière. Si ces projets constituent une bonne base pour la coopération avec l'une de ces institutions, ils n'identifient pas les besoins du système dans son ensemble.
Les gouvernements donateurs n'ont apparemment pas proposé d'aider à la planification de la réforme légale ou de la réforme de la justice pénale chinoise comme ils l'ont fait pour d'autres pays (53). Ils n'ont pas non plus tenté de parvenir à un accord avec le gouvernement chinois sur des objectifs à atteindre dans le cadre des programmes de coopération. C'est peut-être parce qu'ils estiment que, comme la Chine ne dépend pas de ces aides, leur influence est limitée. Le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme a soulevé cette question (54). Les gouvernements engagés dans un dialogue avec la Chine ont essayé d'encourager Pékin à formuler un plan d'action national relatif aux droits de l'homme, comme tous les gouvernements s'y étaient engagés lors de la Conférence internationale sur les droits de l'homme à Vienne en 1993, proposant également de financer cette planification (55).
De faibles engagements
Les gouvernements n'établissent de plans précis que quand ils se sont engagés à entreprendre une réforme de la justice. Nous considérerons cet élément d'approche stratégique à trois niveaux : le premier examinera le niveau d'engagement des pays bénéficiaires d'aide par rapport aux objectifs poursuivis par les donateurs ; le deuxième analysera la base de coopération entre les deux parties ; et le troisième explorera l'environnement de la coopération.
« En comparaison des efforts que le gouvernement central a consentis pour mettre en œuvre la réforme économique, son attitude vis-à-vis de la réforme judiciaire semble traduire un certain manque d'engagement », écrit un chercheur chinois (56). Bien qu'une évaluation complète de l'état actuel des réformes légales en Chine et de leur impact potentiel sur les conditions des droits de l'homme dépasse le sujet de cet article, notons toutefois que de nombreux universitaires en Chine et à l'étranger ont le sentiment que les principaux obstacles à un plus grand développement institutionnel (et à l'amélioration de la situation des droits de l'homme) sont de nature essentiellement politique. Cela est vrai que ce soit pour permettre l'existence d'une véritable justice indépendante, allouer les ressources, ou débloquer les impasses créées par les rivalités institutionnelles. Comme l'écrit Peerenboom, « les obstacles majeurs à l'état de droit en Chine sont de nature systémique et institutionnelle » (57).
La plupart des chercheurs chinois interrogés estiment que le principal obstacle à la protection des droits de l'homme dans le cadre de la justice pénale et au-delà, est le manque de volonté politique, et que la principale raison en est l'absence de réforme politique. Les comportements culturels sont également un obstacle au changement et il faudra du temps pour les modifier. Un chercheur nous a indiqué qu'une des contraintes principales est le manque de ressources nécessaires à la construction d'un véritable système légal, condition préalable à toute protection des droits.
Le fait que le droit soit mal appliqué est un exemple de la manière dont les obstacles institutionnels empêchent tout progrès. Comme l'écrit Chen, « les difficultés rencontrées par les organisations chargées de l'application du droit relèvent souvent de multiples facteurs et de nombreuses institutions. Cela implique logiquement que les efforts déployés individuellement risquent d'être vains » (58). Même à l'intérieur d'une seule institution, une approche peu systématique de la réforme peut avoir des effets indésirables. Li affirme que malgré les nombreuses réformes des tribunaux, « il semble que, du fait de l'absence d'un cadre bien défini, certaines mesures ne soient pas cohérentes et soient même parfois contradictoires… quand la réforme a atteint un certain niveau il est nécessaire d'avoir des objectifs précis et un programme cohérent pour faire avancer le changement » (59).
Au niveau bilatéral, les divergences sur l'« état de droit » suffisent à montrer que, pour ce qui est de réaliser un ensemble d'objectifs communs dans le cadre d'un engagement mutuel, les programmes étudiés ici ont démarré sur des bases plutôt fragiles. Dans tous ces programmes d'aide, la coopération dans le domaine des droits de l'homme a été lancée à partir d'une plate-forme minimaliste d'« échanges légaux » fixée lors de dialogues sur les droits de l'homme ou d'autres rencontres diplomatiques. Dans le cas du Royaume Uni, les échanges en matière juridique existaient déjà depuis plusieurs années (60) et représentaient donc un choix logique, alors que le travail des fondations privées, notamment la Fondation Ford, était souvent perçu comme un modèle alliant l'attention portée aux droits et le travail sur la loi.
Dans une évaluation datant de 1999 sur les programmes suédois de formation en matière de droits de l'homme en Chine, Melbourn et Svensson ont attiré l'attention sur le manque d'objectifs communs, et ont appelé à une discussion plus franche et plus ouverte entre les parties suédoise et chinoise concernant la nature et les objectifs du programme (61). Aujourd'hui, seuls les dialogues Australie-Chine sur les droits de l'homme et le dialogue Allemagne-Chine sur l'état de droit traitent régulièrement de programmes spécifiques de coopération. Certains représentants de donneurs d'aides et certaines agences d'exécution pensent qu'il en est mieux ainsi car ils estiment que les dialogues sont des manifestations très politisées et dépourvues de substance auxquelles participent des gens qui ne connaissent rien ou presque des détails de la coopération.
Même après avoir accepté de coopérer, la plupart des fonctionnaires chinois n'étaient guère disposés à faire mention des droits de l'homme en tant que point central de la coopération, et, dans une certaine mesure, c'est toujours le cas. D'après des membres de la HREOC australienne, initialement, les responsables chinois n'ont pas admis l'existence de problèmes de droits de l'homme pouvant faire l'objet de coopération ; aujourd'hui, ils reconnaissent que l'aide australienne peut les aider à résoudre certaines déficiences de leur système juridique. Mais celles-ci ne sont pas présentées en termes de droits de l'homme et la HREOC « a rarement utilisé le terme de droits de l'homme pour cette raison » (62). L'Institut Raoul-Wallenberg (RWI) en Suède souligne que les organisateurs courent le risque que leurs projets soit annulés si le terme de droits de l'homme est mentionné dans les descriptifs de projets impliquant une participation étrangère (63). L'Agence canadienne de développement international (ACDI) avait d'ailleurs prévu d'ôter le terme de « droits de l'homme et développement démocratique » de son nouveau programme de développement en préparation pour ne parler que de « bonne gouvernance », dont l'objectif était de « soutenir les efforts visant à renforcer l'état de droit comme moyen de défendre les droits des femmes et des hommes chinois » (64). L'ACDI dut toutefois faire marche arrière après que cette proposition se fut heurtée aux protestations des ONG canadiennes (65).
Un grand nombre de projets sont encore réalisés dans un environnement difficile, en dépit des déclarations enthousiastes des donneurs d'aide. La bureaucratie chinoise reste hostile et suspicieuse à l'égard de la coopération avec l'étranger dans certains domaines. Par exemple, les autorités ont exigé en 2001 qu'un séminaire de trois semaines, organisé par les pays nordiques dans la province du Jilin à l'intention des enseignants chinois de droit, soit filmé (66). « Tout ce qui peut impliquer des éléments internationaux et les droits de l'homme en Chine reste très sensible », indique un chercheur chinois, alors qu'un autre ajoute que la participation étrangère dans le domaine du droit reste en elle-même sensible. Les financements étrangers présentent moins de problème que la participation étrangère, surtout si le projet comprend un examen des conditions sur le terrain, ajoute un autre universitaire.
Les chercheurs se montrent en revanche de moins en moins réticents à centrer la coopération autour des droits de l'homme — même si en pratique le travail réalisé reste à un niveau plutôt abstrait — et c'est une des raisons pour lesquelles beaucoup de donneurs d'aide préfèrent organiser leur coopération avec le milieu académique. La collaboration des universitaires chinois avec leurs homologues étrangers sur les questions de droits de l'homme est un aspect de la réponse officielle à l'isolement dont la Chine a souffert après le massacre de 1989 (67). Cela ne signifie pas que les chercheurs sont libres de collaborer avec qui ils veulent. Ceux qui enseignent le droit international des droits de l'homme doivent être conscients que les propos qu'ils tiennent devant leurs étudiants peuvent être rapportés aux autorités. Une déclaration faite par un fonctionnaire dans un rare article sur l'aide étrangère en Chine, publié dans un magazine populaire chinois, en offre une vision paranoïaque : « Rien n'est jamais gratuit dans ce monde. Si les représentants de l'autre partie ont besoin de savoir quelque chose, ils financent vos experts pour réaliser une étude, mener une recherche, et quand le travail est accompli, ils partent avec les résultats. Le gouvernement n'est même pas tenu au courant… L'origine de certains chiffres utilisés par les chercheurs est problématique ; ils ne sont pas très précis, et certains devraient être considérés comme des estimations. Mais les chercheurs ne les vérifient même pas et les utilisent tels quels. Cela peut avoir un effet très dommageable et peut devenir une bombe des droits de l'homme qui sera utilisée contre vous (68). »
Bien que les trois instituts nordiques se focalisent sur les normes internationales, leur travail en matière de droits de l'homme n'est pas sans difficultés. Le climat de la recherche et de l'éducation dans le domaine des droits de l'homme s'est amélioré ces dernières années, mais le sujet reste soumis à de fortes restrictions politiques. Ainsi un professeur d'université commence son cours sur les droits de l'homme par une mise en garde ; il déconseille à ses étudiants de se spécialiser dans ce domaine car c'est un sujet « moralement gênant, économiquement non rentable, politiquement dangereux et intellectuellement ardu » (69). S'y ajoutent le manque de ressources et le besoin urgent de personnel qualifié dans d'autres domaines juridiques. Les étudiants ont du mal à saisir l'utilité à approfondir leurs connaissances juridiques dans le domaine des droits de l'homme puisqu'il y a peu de débouchés en Chine pour des experts dans ce domaine. Les professeurs de droit engagés dans la recherche sur les droits de l'homme ont l'habitude de faire profil bas et travaillent souvent sans aucun soutien administratif ou financier des autorités de leur université (70). Toutefois, la situation a commencé à évoluer puisque les universités rivalisent pour mettre en place des centres des droits de l'homme — cinq ont été créés l'année dernière » (71) — et trouver des fonds. En général, il est impossible d'obtenir un financement chinois (72). Même si l'intérêt des étudiants pour les droits de l'homme semble grandissant (73).
D'un point de vue purement financier, l'importance accordée aux programmes consacrés à la justice ou aux droits est sans commune mesure avec le poids que de nombreux partenaires de la Chine prétendent accorder à cette coopération dans leurs discours (voir tableau 1). La faiblesse des ressources humaines et financières donne encore plus d'importance à la question d'une stratégie appropriée. Pour la majorité des donneurs d'aide étudiés ici, les projets relatifs à la justice et aux droits représentaient bien moins de 5 % de l'ensemble des programmes d'aide à la Chine, même si le Canada, le Danemark et la Suède se situent au-dessus de ce niveau. En Chine, des sommes beaucoup plus importantes sont consacrées aux projets juridiques relatifs à l'économie, au commerce ou à la finance, qu'aux projets consacrés aux droits de l'homme (74). Cela n'est pas propre à la Chine, les dépenses d'aide consacrées aux droits de l'homme sont faibles dans le monde entier (75). Par exemple, entre 1995 et 1999, moins d'un pour cent du budget de l'aide extérieure de l'Union européenne était destiné à des « mesures positives en matière de droits de l'homme » (76).
Naturellement, ce faible niveau de financement reflète aussi le manque d'engagement du côté chinois, notamment le climat restrictif qui entoure ces programmes et le faible nombre de partenaires chinois prêts à y participer. Il tient aussi aux capacités limitées de certaines agences d'exécution dans les pays donateurs, qui ont parfois tiré de dures leçons de leur participation à des programmes de ce type (77). Certaines agences de développement se sont engagées dans ce travail sans conviction, sous la pression des politiques. Les employés de ces agences ont souvent des connaissances limitées des questions des droits de l'homme, et la complexité de nombreuses interventions sur le terrain dans ce domaine peut être intimidante. Par ailleurs, l'évaluation de l'impact de programmes visant à améliorer les droits de l'homme et promouvoir la démocratie est jugée difficile (78), et la tendance qu'ont de nombreux organismes donateurs à s'orienter vers une gestion des projets fondée sur les résultats n'encourage pas les agences d'exécution à accepter de telles missions.
Tableau 1 - 
                    Montant des aides

                    NB : (1) OCDE, Geographical Distribution of Financial Flows 
                    to Aid Recipients 1993-1997, 1999, et la même publication 
                    pour 1996-2000, parue en 2002. Les chiffres pour l'Australie 
                    et la Suède pour 2001 ont été fournis 
                    par leurs agences de développement international respectives. 
                    Pour l'Union européenne, les chiffres proviennent de 
                    la Commission européenne, in Country Strategy Paper 
                    : China 2001-2006, p.39.
                    (2) Les données de cette colonne ne sont pas tout à 
                    fait comparables. Dans beaucoup de cas les financements consacrés 
                    au domaine légal, ne l'ont pas été spécifiquement 
                    dans des projets relatifs aux droits.
                    (3) Ce chiffre comprend les budgets annuels de la HREOC et 
                    des fonds distribués sous forme de bourses par AusAID.
                    (4) Information de l'ambassade du Danemark à Pékin.
                    (5) Estimation grossière basée sur des chiffres 
                    de GTZ et un entretien avec le ministre de la Justice allemand, 
                    le 30 juin 2003.
                    (6) Uniquement les projets du Centre norvégien pour 
                    les droits de l'homme (NCHR).
                    (7) Uniquement les projets du Raoul Wallenberg Institute (RWI).
                    (8) Uniquement les financements du Human Rights Project Fund.
                    (9) Total des financements de projets concernant la loi et 
                    les droits. L'Union européenne affirme toutefois consacrer 
                    12,6 % de son budget d'aide total à « l'état 
                    de droit et aux droits de l'homme ». Le chiffre entre 
                    parenthèses est celui du financement de projets s'intéressant 
                    plus spécifiquement aux droit de l'homme.
De mauvaises aides peuvent nuire
Les récipiendaires d'aide interrogés dans le cadre de l'étude du Conseil international mettent en lumière une autre utilité d'une approche stratégique. Certains programmes peuvent non seulement constituer une perte de temps et d'argent, mais aussi être néfastes. « Des programmes mal conçus et mis en œuvre ont protégé des régimes répressifs en empêchant des enquêtes, gaspillé des ressources indispensables et créé des distorsions dans les institutions nationales » (79). Pourtant, les commentaires sur les programmes bilatéraux consacrés au droit en Chine soulignent généralement qu'il ne peut y avoir d'inconvénient à ce type d'assistance (80).
Dans le contexte de la Chine, il est difficile de déterminer si les programmes et les projets relatifs au droit ont été nuisibles, ou risquent de l'être, dans la mesure où ils ont été peu étudiés. Mais plusieurs éléments peuvent susciter des inquiétudes : l'impact des programmes sur l'ensemble de la politique à l'égard de la Chine ; le peu d'attention accordée au suivi ; la focalisation sur certains projets spécifiques ; et l'impact des projets des donneurs d'aide sur certains domaines de la recherche universitaire.
Plusieurs critiques du dialogue et de la coopération ont affirmé que cette politique a eu pour conséquence un examen moins minutieux de la situation des droits de l'homme en Chine par l'étranger. Bien que l'analyse de ce point dépasse l'objet de cette étude, quelques commentaires sur les diverses options politiques sont importants. L'étude du Conseil international conclut que si critiques et coopération ne doivent pas donner lieu à des tractations, la coopération doit dans tous les cas être poursuivie « sauf dans les cas ou le gouvernement concerné rejette explicitement et bafoue ouvertement les normes internationales en matière de droits de l'homme » (81).
Les informateurs chinois ont reconnu la nécessité d'allier la coopération à la pression, mais n'étaient pas conscients de l'existence des tractations qui caractérisent souvent ces programmes. Pratiquement sans aucune exception, les chercheurs chinois ont insisté sur l'importance des pressions étrangères dans le passé comme dans le présent pour forcer le gouvernement chinois à réaliser des concessions et des améliorations en matière de droits de l'homme. Toutefois, ils avaient de la peine à expliquer ce que cette pression devait être, manifestant une certaine gêne face aux critiques visant leur pays. Certains ont fait remarquer que les pressions pouvaient parfois avoir des effets négatifs, notamment en créant au sein du pouvoir une résistance au changement. L'une des personnes interrogées a affirmé que les pressions devaient être utilisées de telle manière que le gouvernement ne perde pas la face.
Ces commentaires mettent en lumière la nécessaire prise en compte du contexte et une meilleure compréhension de questions spécifiques relatives aux droits de l'homme. Une information de qualité peut être fournie par divers types d'acteurs —donneurs d'aide étudiés ici se sont montrés favorables à un simple suivi des droits de l'homme et pratiquement tous ont exclu le travail de groupes ou d'individus hors de Chine (82). Mais, comme le relève l'étude du Conseil international, le suivi de l'évolution des réformes est également crucial pour déterminer comment les interventions fonctionnent et quels types de projets donnent les meilleurs résultats.
Les dommages réels ou potentiels relèvent plus d'actes d'omission que d'actes volontaires ; l'on peut toutefois citer quelques problèmes directement suscités par l'approche des donneurs d'aide. Un exemple est celui des sessions de formation lors desquelles des fonctionnaires australiens ont enseigné au personnel du ministère chinois des Affaires étrangères (MoFA) comment rédiger des rapports dans le cadre des deux chartes des Nations Unies (83). Le MoFA est davantage responsable de la diffusion d'informations positives que du suivi des conditions des droits de l'homme. L'Australie n'avait invité ni le personnel des Nations Unies, ni les membres d'organes de suivi des traités ni aucune ONG à ces sessions (84). Récemment, des responsables du ministère des Affaires étrangères ont indiqué qu'ils avaient fait des progrès en matière de rédaction de rapports destinés aux organes de suivi des traités et qu'ils ne seraient « plus critiqués » (85). Ce n'était pas vraiment l'objectif de telles « formations ».
Un autre exemple est la manière dont les donneurs d'aide ont contribué à rendre certains membres du Parquet réfractaires à la réforme, suite au trop grand soutien accordé aux tribunaux et à des projets renforçant l'autorité du pouvoir judiciaire (86). Toutefois, un certain nombre de donneurs d'aide ont des projets avec le Parquet chinois (87).
Certains affirment que l'approche technique des donneurs d'aide vis-à-vis de la réforme légale en Chine a contribué à faire croire au gouvernement qu'il peut éviter les implications normatives de l'état de droit. William Alford avance qu'en raison de « l'approche adoptée par nombre d'organismes multilatéraux et gouvernementaux et d'organisations non gouvernementales dans leur travail d'assistance judiciaire en Chine, la communauté internationale renforce une perception instrumentale du droit et de la légalité en Chine. Chacun a mis en avant le rôle que le droit peut jouer dans la construction de la nation, tout en évitant soigneusement les questions ou les implications politiques connexes, comme pour suggérer que l'“aspect” technique du droit qui pourrait faciliter le développement économique peut d'une certaine manière être complètement détaché de sa dimension plus politique » (88).
Certains chercheurs chinois ont le sentiment que les politiques des donneurs d'aide ont eu des effets négatifs. Plusieurs chercheurs interrogés ont exprimé leur inquiétude quant au fait que ce soient les donneurs d'aide qui fixent les priorités de recherche. D'après l'un d'eux, le changement de priorités des donateurs a rendu plus difficile l'élaboration d'un corpus de travail dans certains domaines. Un chercheur n'ayant pas participé à des programmes financés par des donneurs d'aide avait le sentiment que l'implication de donateurs étrangers avait contribué à politiser la recherche sur les droits de l'homme, et cela signifiait pour lui que peu de chercheurs de qualité seraient attirés par ce domaine.
La concentration des financements dans une poignée d'institutions est un autre élément qui peut fausser les incitations à la réforme. Par exemple, l'Académie des sciences sociales est connue pour faire payer les interventions de ses chercheurs à des conférences qu'elle organise grâce aux financements de donneurs d'aide. Un exécutant s'est plaint que certaines fédérations provinciales des femmes considèrent uniquement les donneurs d'aide comme des « vaches à lait » et accordent peu d'importance à la substance des projets (89).
Enfin, de nombreux projets représentent un gaspillage dans un contexte où les ressources sont déjà rares. Le plus souvent, le problème semble être le changement de priorité décidé par les donneurs d'aide, ce qui aboutit à des projets faits à la va-vite. L'exemple le plus extrême est un programme australien qui consiste essentiellement en une série de visites croisées d'un grand nombre d'institutions, sans rapport avec des résultats pratiques ou des réformes spécifiques. Certains grands projets semblent aussi accorder trop d'importance au court terme. Un exemple est le plus grand projet de l'Union européenne sur l'état de droit, le « EU-China Legal and Judicial Cooperation Project », dont l'activité principale consiste en des visites prolongées en Europe de juristes chinois (90). Une énergie considérable a été déployée, avec notamment l'ouverture d'un bureau à Pékin et la création d'un site Internet sophistiqué. Mais au bout de quatre ans d'opération et une seule session d'aides à la recherche, la structure dans son ensemble est en train d'être abandonnée. Bien sûr, certains considèrent que l'argent serait mieux utilisé à la promotion d'un enseignement juridique de base en Chine (91), mais ce n'est pas la raison pour laquelle le projet est abandonné.
Connaissances contextuelles, transparence et apprentissage
Comprendre l'environnement des programmes, libéraliser l'accès à l'information relative à ces derniers, tirer les leçons des expériences passées constituent trois impératifs stratégiques. Dans un article sur l'aide à l'« état de droit », Thomas Carothers souligne la faiblesse des connaissances dans ce champ : « Le domaine en pleine expansion de l'aide à l'état de droit fonctionne sur une base de connaissances étonnamment mince à tous les niveaux — qu'il s'agisse de la rationalité fondamentale des travaux, de savoir ce qu'est l'essence de l'état de droit dans différentes sociétés, comment se produit le changement dans l'état de droit et quels sont les véritables effets des changements produits. Les leçons que l'on peut tirer aujourd'hui ne sont, pour la plupart, guère impressionnantes et semblent en fait ne pas avoir été digérées. Les obstacles à l'accumulation des connaissances sont importants : cela va de lacunes institutionnelles chez les principaux protagonistes de l'aide à des défis intellectuels plus profonds relatifs à la compréhension de la complexité du droit (92). »
Du côté des donateurs, l'aide souffre souvent d'un manque de personnel avec de bonnes connaissances du pays et de la langue. Cela semble particulièrement le cas dans les programmes bilatéraux (93). Dans les programmes étudiés ici, le niveau de connaissances du personnel a été un facteur déterminant pour la qualité des projets.
Parvenir à un bon niveau de connaissances n'est pas facile en Chine où les informations précises sur les rouages du système légal font gravement défaut (94). Un exemple est la médiocrité des statistiques sur le système pénal, le nombre d'exécutions étant toujours considéré comme un secret d'Etat. Parmi les personnes les plus compétentes dans les agences de mise en œuvre, plusieurs se sont plaintes du peu de temps et d'argent consacré à l'acquisition des connaissances nécessaires à leur travail. Certains informateurs chinois ont exprimé leur déception face au manque de connaissance du contexte chinois, notamment du contexte politique, chez leurs interlocuteurs des organismes donateurs (95).
Le manque de connaissances empiriques est une lacune courante des programmes relatifs à la réforme légale et judiciaire : « La réforme légale et judiciaire est jalonnée de modestes succès… et de fréquents échecs. Elle s'est souvent caractérisée par un fossé important entre la compréhension théorique des systèmes, la conception des projets et leur mise en œuvre. Le fossé qui sépare la théorie et la pratique résulte d'un certain nombre de pressions… Il démontre, d'une part, le besoin criant d'investissement dans des approches empiriques vis-à-vis du développement des systèmes juridiques et, d'autre part, le non-sens de la distinction établie par certains entre l'action et la recherche (96). »
L'évaluation du travail accompli fait partie du processus d'accumulation des connaissances. Mais peu de projets chinois ont été évalués, et certains donneurs d'aide ont signalé que les partenaires chinois n'aimaient pas les évaluations (97). Dans de nombreux cas, les donateurs n'ont pas assuré de suivi des projets (98). Le manque d'attention portée à l'évaluation et aux leçons tirées de l'expérience se retrouvent dans d'autres pays (99). Dans le cas de la Chine, cela peut s'expliquer par la forte pression pour que les projets relatifs au droit soient un succès. Le lien entre ces projets de coopération et les politiques du gouvernement donateur entraîne souvent une évaluation trop optimiste. L'intérêt qu'ont les agences d'exécution à continuer de recevoir des financements (100) explique également le manque d'objectivité de ces évaluations. Une autre raison au manque d'informations est que la recherche financée par les donneurs d'aide circule mal. Il s'agit là d'un point soulevé à la fois par les donateurs et par les informateurs chinois. Les bailleurs de fonds n'ont jamais demandé que ces recherches circulent, et il n'existe donc aucune habitude dans ce domaine.
Si l'on a du mal à tirer les leçons des expériences passées, c'est aussi dû au manque de transparence. Pour ce qui est des programmes étudiés ici, seuls les pays nordiques et les Pays-Bas se sont montrés prêts à partager avec nous des informations détaillées sur leurs projets et leurs évaluations. En Australie, au Canada et au Royaume-Uni, il n'existe apparemment pas de disposition obligeant le gouvernement à rendre compte publiquement de la manière dont l'argent est dépensé dans ce domaine. Les informations fournies par la France ont été pour le moins minimes. Enfin, bien que les règlements concernant la transparence soient meilleurs du côté de l'UE, aucune évaluation des grands projets mentionnés n'est disponible parce qu'aucun n'est encore arrivé à son terme. Il existe toutefois quelques rapports sommaires (101). Des informations complètes sont disponibles sur l'aide technique juridique de l'Allemagne mis en place par GTZ (102), mais peu sur d'autres projets.
La transparence préoccupe beaucoup nos informateurs chinois. Les universitaires non impliqués dans des projets d'aide internationale expriment leur déception quant au manque d'information sur les thèmes des projets et sur la manière d'obtenir des financements. En fait, même certains de ceux qui ont perçu des financements estiment que les choix des donateurs sont une « boîte noire ». Il serait préférable que les donateurs rendent leur activité publique et le processus de demande de financement plus ouvert. Certains affirment que les donateurs ont tendance à travailler uniquement avec ceux qui parlent leur langue, au sens propre comme au sens figuré. Une minorité de chercheurs perçoivent de grosses sommes d'argent, indique un informateur plein de ressentiment. Confirmant ce point de vue, un autre affirme qu'il est « facile » d'obtenir des financements pour des projets relatifs aux droits de l'homme et à l'état de droit.
Implication des bénéficiaires et identification des besoins
L'étude du Conseil international montre qu'une implication (103) des bénéficiaires dans les programmes d'aide est une condition nécessaire de leur succès — si les projets sont guidés uniquement par les préoccupations et les motivations politiques des donneurs d'aide, il est probable qu'ils ne donneront que peu de résultats.
Le lancement d'un projet en Chine demande un travail préalable important de la part des représentants des donneurs pour trouver les points d'entrée appropriés. Dans la plupart des cas, des contacts personnels ont déjà été établis — souvent liés aux efforts entrepris par la Chine après 1991 pour entamer un dialogue sur les questions des droits de l'homme. Dans un premier temps, les partenaires chinois ont semblé réticents à identifier les lacunes dans leurs connaissances ou les déficiences de fonctionnement que de tels programmes pourraient aider à corriger. Dans une certaine mesure, ce problème subsiste aujourd'hui.
Les représentants des agences de mise en œuvre reconnaissent qu'il a souvent été difficile d'inciter les partenaires chinois à identifier leurs besoins et à proposer des projets. Cela est clairement dû au caractère sensible du sujet et au manque d'engagement du côté chinois. Les partenaires chinois estiment de toute évidence la coopération acceptable, mais ne savent pas dans quelles limites. Il existe également d'autres facteurs : par exemple, ce sont souvent les départements des Affaires étrangères, plutôt que les personnes qui travaillent sur la question, qui discutent et négocient les projets avec les représentants des donneurs d'aide (104). Par ailleurs, le terme de « coopération » signifie que l'on doit satisfaire les besoins des deux parties, et la participation de personnes et d'institutions du pays donateur dans les programmes est généralement un objectif reconnu par les donneurs pour la mise en place des politiques d'aide (105). A juste titre, les partenaires chinois ne considèrent pas cette coopération comme une aide mais comme un échange où le fait de travailler ensemble est peut-être plus important que le travail accompli (106). Ainsi si l'essentiel du budget est dépensé hors de Chine, il est compréhensible que l'engagement des partenaires chinois soit faible.
Jusqu'à récemment, lorsque l'Institut Raoul-Wallenberg (RWI) demandait à des chercheurs chinois comment ils envisageaient la coopération, ceux-ci retournaient la question et demandaient ce que le RWI souhaitait faire. Les représentants du Parquet de Shanghai ont été stupéfiés que le RWI insiste pour que le matériel de formation se concentre sur les problèmes chinois, parce qu'ils voulaient faire une série d'ouvrages sur le droit suédois (107). Bien que le RWI ait travaillé pendant longtemps avec la Chine, il a eu du mal à impliquer davantage les Chinois dans la planification des programmes.
Certains employés d'agences impliqués dans des projets britanniques ont fait part de leurs difficultés à aborder des projets assez précis pour avoir un impact. Il fallait parfois travailler pendant des années sur un sujet plus large avant qu'un partenaire chinois veuille (ou puisse) se lancer dans un projet destiné à obtenir des résultats sur le terrain. Pour en arriver là, les ingrédients nécessaires sont, selon un de nos interlocuteurs, « une bonne relation de travail » avec un partenaire chinois construite au fil de plusieurs années, « une approche axée sur la participation et le processus, qui passe de l'aide à la prise de conscience de la question des droits et de modèles alternatifs de droit et de pratique juridique, à l'identification d'un projet visant à aborder un problème spécifique et défini » (108) ; et une excellente connaissance du contexte. Dans la mesure où les donneurs ont tendance à s'intéresser essentiellement aux « résultats », ils peuvent ne pas accepter de financer le long processus qui est souvent nécessaire (109).
Selon un fonctionnaire de la Commission européenne, puisque la gouvernance et les droits de l'homme ne sont pas la priorité de la Chine, l'UE doit prendre l'initiative pour la coopération dans ces domaines et « en quelque sorte imposer » des projets à la partie chinoise. Toutefois, en même temps, il reconnaît que sans appropriation chinoise, ces programmes ne peuvent aboutir (110). Ce dilemme a toujours existé dans le programme de coopération de l'UE, et a provoqué d'importants retards dans la mise en œuvre de nombreux projets. Il faut en effet attendre que les objectifs fixés par l'UE soit acceptés par les partenaires chinois et que toutes les formalités bureaucratiques de la Commission soient remplies (111).
En Chine, peu de donneurs d'aide consultent des experts chinois en dehors de leur partenaire direct sur l'orientation des programmes (112). Une petite minorité des chercheurs chinois rencontrés ont été consultés, et la plupart ont reconnu qu'ils n'avaient même pas pensé que les donneurs puissent avoir besoin de prêter attention à ce que pensaient les Chinois. L'un d'entre eux s'est déclaré frustré que les donneurs n'écoutent pas l'opinion des Chinois qui travaillent dans les domaines concernés, et ne suivent que leurs propres priorités. Un autre chercheur ayant participé à des discussions avec des donneurs d'aide sur la formation des fonctionnaires estime que la discussion n'avait pas porté sur les caractéristiques de la formation, mais sur la manière d'appréhender la phobie des autorités concernant les commentaires critiques sur la Chine. Un chercheur qui n'a jamais été associé aux programmes d'aide était cynique quant aux motivations de ses collègues qui travaillaient comme consultants pour des organismes donateurs, et doutait qu'ils feraient vraiment part de leurs critiques s'ils jugeaient mauvaise l'approche adoptée par les donneurs.
De nombreux interlocuteurs chinois interviewés étaient convaincus que les donneurs d'aide devaient prêter plus d'attention à la perception des besoins au niveau local. « Le pays doit se métamorphoser, et pour cela il a besoin d'aide. Mais cette aide devrait être fondée sur les besoins tels qu'ils sont exprimés par les Chinois, et ne pas consister simplement à leur dire quoi faire ou à le faire à leur place », confie l'un d'entre eux. Les donateurs ne devraient pas venir avec des préjugés sur ce qui serait utile en fonction de leur propre système et de leurs propres valeurs, et devraient davantage recourir à des consultants chinois, déclare un autre. Lors de la planification, les donateurs devraient s'entretenir plus avec les chercheurs et les responsables chinois afin d'identifier quels sont les problèmes à traiter.
Les instituts nordiques des droits de l'homme sont les seuls qui aient tenté de consulter d'une manière systématique les Chinois travaillant dans les domaines concernés. On peut citer comme exemples l'étude de faisabilité menée par le RWI en 1999-2000 et la consultation de chercheurs dans le cadre de rencontres organisées par les pays nordiques, réunissant chercheurs chinois et experts internationaux deux fois par an pour discuter de certains sujets relatifs aux droits de l'homme. L'année dernière, cette initiative a été formalisée puisque les Nordiques ont mis en place un « Education Resource Group » composé de quatre universitaires chinois qui apporteront régulièrement des informations sur l'évolution de leur travail (113).
Centres d'intérêt, choix des partenaires et coordination
Au bout du compte, beaucoup de donneurs finissent par travailler avec les mêmes institutions, notamment des agences du gouvernement central, l'Institut national des juges, les universités et think tanks basés à Pékin, et certaines agences semi-gouvernementales telles que la Fédération panchinoise des femmes. Plusieurs facteurs limitent le nombre d'institutions chinoises qui peuvent s'engager dans les projets considérés ici : la nécessité d'obtenir une autorisation officielle ; la capacité de satisfaire aux conditions des donneurs en termes de comptabilité et de gestion, etc. Chaque donateur ou presque finance des projets auxquels participe l'Institut de droit de l'Académie des sciences sociales chinoise, et beaucoup travaillent également avec l'Université chinoise de science politique et de droit. Le manque de publicité des résultats et de coordination entre donateurs aboutit parfois à une duplication des projets. Les donneurs d'aide ont tendance à ne travailler qu'avec des personnes qui parlent anglais, car cela représente pour eux un gain à la fois de temps et d'argent ; mais ces personnes sont souvent celles qui ont le moins besoin de ce type d'exposition qui représente une part importante de ces programmes.
Si la question des droits de l'homme reste controversée — cependant moins en tant que sujet de recherche que par le passé — beaucoup de représentants des donateurs et quelques membres des agences d'exécution n'étaient pas conscients des formalités que les partenaires chinois devaient remplir pour pouvoir travailler avec eux. Toutefois, l'un d'eux nous a dit savoir que les universités avec lesquelles leur agence travaille devaient rendre des comptes au ministère des Affaires étrangères sur leur coopération (114). D'après un universitaire chinois, le gouvernement central considère les droits de l'homme comme un « domaine réservé » et n'autorise pas les institutions provinciales ou locales, qu'elles soient gouvernementales ou universitaires, à travailler avec des organes étrangers sur ce sujet sans son autorisation. Il précise que certains règlements internes stipulent probablement que les institutions provinciales ou locales qui souhaitent s'engager dans ce genre d'activités doivent demander l'autorisation au ministère, en ajoutant toutefois que la multiplication des échanges internationaux rendra de plus en plus difficile le contrôle central. Pratiquement aucun des projets sponsorisés par les donneurs étudiés ici n'a été annulé (115), ce qui peut indiquer soit une plus grande tolérance de la part des autorités, soit un certain manque d'audace de la part des donateurs.
Les chercheurs et juristes ne vivant ni à Pékin ni à Shanghai estiment que les donneurs d'aide accordent beaucoup trop d'importance à ces deux villes aux dépens d'autres régions. Non seulement ces deux villes ne sont pas représentatives du pays, mais de plus la concentration des donateurs a rendu les bénéficiaires blasés, et ces derniers risquent de ne pas mettre autant d'énergie dans les projets que d'autres dans des régions moins favorisées. On peut également s'interroger sur le besoin de financements étrangers de certaines institutions. Par exemple, de nombreux projets visent à former les juges, alors que la ville Shanghai fait venir des enseignants américains pour donner des cours à ses juges et envoie ses juges aux Etats-Unis suivre des programmes d'études (116). La province de Canton a un projet similaire. La concentration de l'aide dans les régions les plus riches reproduit un modèle historique ; jusqu'à récemment, les principaux bailleurs de fonds — tels que la Banque mondiale et le Programme de développement des Nations Unies — ont accepté de soutenir la priorité du gouvernement central qui était de développer les zones côtières, contribuant ainsi au renforcement des inégalités régionales (117).
D'après le Conseil international, la coordination entre donateurs est une des clés de la réussite des programmes. Cette coordination est au moins nécessaire pour éviter tout doublon ; mais, idéalement, cela signifierait une mise en commun des ressources et une approche plus large qu'un donneur d'aide unique ne serait pas en mesure d'assurer seul. Malheureusement, les exemples de coordination sont rares : « les donateurs ont tendance à adopter des projets sans avoir une vue globale des activités des autres donateurs. Par conséquent, leur impact est local, et en général leur stratégie reflète leurs propres priorités nationales et leurs propres choix. Par exemple, la Suède souhaite exporter son ombudsman, l'Allemagne son expérience dans les tribunaux constitutionnels, et les Etats-Unis veulent transplanter leur expérience de la société civile (118) ».
En Chine, une coordination n'est mise en œuvre que par les trois instituts nordiques pour promouvoir l'enseignement du droit international des droits de l'homme depuis 1999. Pour le reste, la coordination se limite essentiellement au partage de l'information. Pour ce qui est du dialogue entre les pays, les réunions du « Processus de Berne » initiées par la Suisse et le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme regroupent occasionnellement, depuis avril 2001, les représentants des pays qui prennent part aux dialogues. On y discute les programmes de coopération mais, le plus souvent, les personnes directement responsables ne participent pas à ces réunions, leur utilité est donc très réduite. La Fondation Ford organise une fois par an à Pékin des réunions de donneurs d'aide dans le domaine du droit, et certaines réunions occasionnelles regroupent des donneurs travaillant spécifiquement sur les projets relatifs aux droits de l'homme, mais cela n'est pas formalisé. Une indication du véritable degré de coordination est le fait qu'un forum mis en place par le British Council pour l'échange d'information entre les donneurs d'aide dans le domaine du droit a été fermé l'année dernière faute d'utilisateurs (119).
Ce manque de coordination peut être imputé à plusieurs facteurs : la promotion de modèles nationaux dans les programmes d'aide, la pression due à l'obligation de réussite en raison de liens avec des objectifs de politique étrangère plus larges, le désir qu'ont beaucoup de donateurs d'être présents en Chine et la concurrence entre les donateurs. La compétition est un problème courant en matière d'aide. Même dans le contexte d'un véritable engagement pour la réforme, comme en Russie, les donateurs avaient élaboré des projets de formation juridique rivaux, plutôt que de regrouper leurs fonds pour mettre en place un programme de formation complet (120). Naturellement, on pourrait arguer que des projets différents peuvent promouvoir des approches nombreuses et diversifiées de la réforme. Ce serait peut-être le cas si les donneurs finançaient essentiellement des ONG. Mais travailler à la construction officielle d'un état de droit, comme dans le cas de la Russie et de nombreux projets chinois, implique des réformes institutionnelles qui nécessitent des solutions systémiques et des financements considérables.
Certains des donateurs étudiés pourraient faire davantage d'efforts pour dépasser le cercle confortable des bénéficiaires habituels et soutenir ceux qui, dans la société chinoise, sont explicitement (ou même implicitement) engagés à améliorer les droits de l'homme. Par exemple, ils pourraient fournir une plus grande aide juridique, y compris celle offerte par des non-juristes, et financer des organisations et des réseaux indépendants impliqués dans des questions spécifiques relatives aux droits de l'homme, y compris hors de la sphère juridique. Cela signifierait consacrer davantage d'argent à des fonds distribués sous forme de bourses avec un minimum de formalités bureaucratiques. Ils pourraient également lever des restrictions, notamment celles qui excluent le soutien aux organisations en exil ou les projets de droits de l'homme hors de Chine (121).
Deux chercheurs chinois sont d'avis que la mise en œuvre de la loi devrait être la priorité. Le financement de projets purement académiques est du gaspillage, estime l'un des informateurs ; en revanche, les donateurs devraient financer davantage d'études empiriques, souvent coûteuses. D'autres pensent qu'il faut consacrer davantage d'efforts aux travaux qui cherchent un fondement aux droits dans les concepts locaux et traditionnels. Si les universitaires peuvent changer la mentalité des gens, il faut les soutenir pour aider la Chine à mettre en place elle-même un état de droit et des protections pour les droits de l'homme (122). Plusieurs ont déclaré que les donateurs devraient consacrer plus d'argent à l'amélioration de l'enseignement juridique de base (pas seulement en matière de droits de l'homme), ce que la plupart semblent réticents à faire aujourd'hui.
Certains chercheurs en droit pensent qu'il est accordé trop d'importance à la théorie d'un point de vue normatif, et pas assez à ce qui est possible. Par ailleurs, les travaux universitaires ont peut-être plus d'impact sur la réforme juridique que sur l'application du droit dans laquelle la politique et les conditions sociales plus larges jouent un rôle important. Les personnes sur le terrain ont peut-être de meilleures idées sur l'application pratique que les intellectuels (123). Toutefois, un des exécutants a souligné que les chercheurs en droit chinois ont toujours eu un plus grand rôle politique que leurs équivalents occidentaux, et qu'il était donc important de travailler avec eux pour influencer le gouvernement (124).
Les Chinois interrogés ont exprimé des points de vue contradictoires sur le potentiel du droit international des droits de l'homme et sur le rôle des donneurs dans son développement. Les efforts des pays nordiques pour son enseignement, notamment le développement d'un réseau d'enseignants, sont très appréciés par les universitaires concernés. Deux chercheurs, l'un spécialisé dans une autre discipline du droit et l'autre ne travaillant plus dans ce domaine, se sont cependant montrés critiques sur ce qui pouvait être accompli dans le climat politique actuel. Les études menées jusqu'à présent ont donné peu de résultats pratiques étant donné les restrictions qui pèsent sur ce que les chercheurs peuvent étudier et publier.
Plusieurs de nos interlocuteurs ont le sentiment que les donneurs d'aide ont une conception trop étroite des droits et de la manière de les améliorer en Chine. Selon un chercheur, il faut trouver une approche plus large, au niveau de l'éducation civique, en enseignant notamment le rôle que la loi peut et devrait jouer dans la société. Plusieurs informateurs s'inquiétent de l'intérêt porté par les donneurs d'aide à des projets trop « politiques ». Certains donneurs exigent une implication trop spécifique, tant dans les faits qu'administrativement, dit l'un d'entre eux.
A l'issue de plus de cinq années de dialogues consacrés aux droits de l'homme, beaucoup de diplomates reconnaissent en privé que ces rencontres ne donnent guère de résultats, et que les véritables réalisations ont eu lieu dans le cadre des programmes de coopération (125). Ainsi, de l'avis même des donneurs d'aide, les programmes envisagés ici constituent un indicateur du succès de cette approche. Mais en raison du manque d'objectifs précis en termes d'améliorations des droits de l'homme, le simple fait qu'une action soit engagée est souvent suffisant pour que les donateurs la qualifient de succès. Les donneurs d'aide tendent à analyser la coopération plutôt en termes quantitatifs que qualitatifs (nombre de personnes ayant participé à telle ou telle formation, type de séminaire organisé, visite d'une délégation chinoise dans le pays donateur lors d'un voyage d'étude), sans évaluation de l'impact réel ou potentiel de ces activités, et sans même établir de lien entre celles-ci et un programme de réforme spécifique. En revanche, les rapports de certaines agences chargées de la mise en œuvre sont plus susceptibles de mesurer l'impact des travaux réalisés (126).
Cela ne veut pas dire que les programmes analysés ici n'ont pas abouti, ni que les activités qu'ils ont financées n'en valaient pas la peine. Mais souvent, l'information disponible est trop faible pour permettre une évaluation significative des résultats — réels et potentiels — d'un programme.
Naturellement, des changements dans le climat politique — notamment l'augmentation du nombre d'organisations à but non lucratif indépendantes et une plus grande couverture médiatique de sujets dits sensibles, y compris celui des droits de l'homme — font que les conditions se sont quelque peu améliorées, permettent d'aborder des questions plus sensibles et accroissent le degré de faisabilité des projets. Les donateurs et leurs agences ont à n'en point douter contribué à ce changement de climat, en tirant les leçons de leur expérience et en construisant une relation de confiance avec les partenaires chinois par le biais d'une coopération de plusieurs années. Plusieurs progrès récents méritent d'être signalés : l'engouement pour la création de centres de droits de l'homme dans les universités, l'entrée des droits de l'homme dans les cours des facultés de droit, et la possibilité que le ministère de l'Education rende bientôt ces cours obligatoires.
Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que l'enseignement du droit international des droits de l'homme ait fait quelques progrès. C'est, entre autres, grâce à l'intervention de donneurs d'aide, notamment des instituts scandinaves pour les droits de l'homme. Leur lutte pour développer l'enseignement du droit international des droits de l'homme en Chine est un exemple de ce qui peut être réalisé grâce à une approche concertée, de long terme, fondée sur la coopération entre les donneurs d'aide.
Il est aujourd'hui important que les donateurs adoptent une stratégie plus cohérente et plus réfléchie. Ils doivent soutenir davantage les travaux empiriques sur le système légal et les droits de l'homme, adopter une approche plus concertée avec les agences gouvernementales, encourager la coordination entre les donneurs d'aide et favoriser la planification relative aux droits, élargir le cercle des institutions bénéficiaires afin d'aider celles qui s'engagent véritablement sur la question des droits, opter pour une meilleure tactique politique combinant pression et dialogue.
De tels changements ne sont pas faciles : une partie non négligeable du déficit stratégique n'est pas liée au contexte chinois ; certains de ses effets sont communs à tous les programmes d'aide relatifs à l'état de droit. Aussi les donateurs doivent-ils s'attaquer à des problèmes plus généraux. Il leur faut notamment prendre conscience que les priorités fixées par des processus politiques et institutionnels dans les pays donateurs ne sont pas toujours les plus utiles dans le contexte du pays récipiendaire. Qui plus est, certaines positions des donateurs — comme leur insistance à recourir à des institutions et à des experts de leur propre pays quel que soit leur niveau de connaissance ou d'expertise, et la confusion sur l'objectif de l'état de droit (servir les intérêts des multinationales ou faire progresser les droits ?) — ne font que créer des obstacles à l'amélioration des droits de l'homme.
Dans le contexte chinois, les lacunes en matière de stratégie concernent essentiellement le manque d'attention accordée au travail empirique — y compris le suivi des droits de l'homme — qui aiderait à déterminer les interventions les plus appropriées, et l'incapacité à encourager et à soutenir la planification officielle au niveau « macro » et l'identification des besoins au niveau « micro ». Des approches empiriques conduiraient à des solutions spécifiques répondant à des problèmes concrets. Prenons l'exemple de la formation juridique : plusieurs études ont démontré que si la formation n'est pas liée à un programme de réforme bien défini comprenant des incitations au changement, elle n'aura que peu d'effet (127). L'idée que la simple exposition de quelques individus à un modèle de pratique étranger peut suffire à susciter le changement est une idée naïve, à l'origine de gaspillages de ressources.
L'adoption d'une approche stratégique ne signifie pas que les donneurs d'aide imposent leurs vues aux partenaires chinois. Comme un responsable d'agence l'a noté : « il doit y avoir une implication locale dans la définition du problème et la manière dont il doit être résolu — il nous faut donc accepter que les projets ne prennent pas la tournure que nous avions imaginée (128) ».
Une des questions cruciales est le choix des partenaires et, surtout, de savoir si l'approche « élitiste » que les donneurs ont adoptée jusqu'à maintenant est la plus à même de faire progresser la situation des droits de l'homme sur le terrain. Se peut-il que le long processus d'élaboration de la confiance signifie que les donateurs ne se sont pas adressés aux bons partenaires ? Et s'ils avaient commencé par analyser quelles initiatives chinoises avaient un impact sur divers problèmes liés aux droits de l'homme et essayé de soutenir ces efforts par des financements, mais aussi par l'ouverture de canaux internationaux de communication et d'expertise ?
Dans une société où la violation des droits est de plus en plus le reflet des divisions de classes, l'engagement des intellectuels en tant que groupe est peut-être même douteux. « Depuis [1989], le gouvernement a graissé la patte aux intellectuels en leur offrant de gros salaires — les salaires des professeurs d'université ont été multipliés par dix ces dix dernières années. Les universités et les instituts de recherche croulent sous les subventions. La plupart des intellectuels mènent aujourd'hui une vie confortable et ont le droit de publier leurs idées assez librement » (129). Cela n'empêche pas les donneurs d'aide d'attendre que les universitaires fassent preuve d'un plus grand activisme en Chine qu'ailleurs.
Les donateurs doivent de toute évidence faire davantage d'efforts pour identifier les groupes et les individus qui ont déjà commencé à s'intéresser d'eux-mêmes à des questions relatives aux droits de l'homme. Ils doivent aussi se montrer prêts à prendre davantage de risques pour appuyer de telles initiatives. Il est clair que là où des actions sont déjà lancées, il y a un fort potentiel. On peut citer comme exemples le « Réseau violence domestique », présent dans toute la Chine et financé par un consortium de donateurs, le travail de Wan Yanhai et ses collègues sur les questions du Sida (130), ou encore certains chercheurs en droit pénal qui travaillent à introduire des normes internationales dans le droit chinois (131). Il faut aussi reconnaître que si l'on peut faire beaucoup en Chine aujourd'hui, les organisations de défense des droits de l'homme ont toujours un rôle important à jouer hors de Chine, notamment grâce au lobbying. Seules ces organisations peuvent faire pression et soumettre des rapports aux Nations Unies.
Certains donateurs ont mis en place des « programmes de bourses » qui financent des projets généralement initiés au niveau local. Toutefois, ils finissent souvent par financer les mêmes organismes semi-officiels que d'autres programmes d'aide. Pour remédier à cela, il faudrait que les formalités de demande de financement soient plus ouvertes et plus simples, et que des efforts soient faits pour améliorer l'information concernant les procédures.
Bien sûr, il n'est pas inutile de continuer à collaborer avec des partenaires ayant leurs entrées dans les milieux officiels, à condition qu'ils soient en mesure de résoudre certaines questions pratiques. Un exemple positif est le travail de plusieurs agences britanniques, financées à la fois par le Royaume-Uni et l'UE, sur les questions de justice juvénile (132) et de trafic d'enfants dans le Sud-Ouest de la Chine (133).
Dans le même ordre idée, on peut remettre en question l'attention exclusive portée à l'appareil formel de la justice comme point d'entrée pour les droits de l'homme en Chine. Après l'échec de programmes américains visant à améliorer les institutions légales dans des pays d'Amérique latine, on commence maintenant à reconnaître qu'il faut aussi s'intéresser à « la demande » (134). En d'autres termes, si les gens ne réclament pas que leurs droits soient protégés par le système légal, les pratiques ne changeront jamais. Mais pour cela, il faut que les donneurs d'aide ne se limitent pas aux institutions et apportent leur soutien à d'autres entités telles que les groupes communautaires, les organes qui offrent des services juridiques aux pauvres, les médias, etc.
En Chine, bien que de tels groupes se soient développés ces dernières années, leurs activités sont restreintes par la volonté des autorités centrales et locales de contrôler les organisations indépendantes. Cela nous mène à un autre élément stratégique : les donneurs d'aide seront peut-être amenés à se battre davantage contre les obstacles politiques pour arriver à une réforme légale davantage orientée vers les droits de l'homme. Nos informateurs chinois affirment de manière quasi unanime que les pressions internationales ont joué un rôle important dans les concessions faites par le gouvernement chinois en matière de droits de l'homme. Leur message est clair : ils veulent à la fois de la coopération et de la pression sur le gouvernement, les deux possèdent une synergie essentielle. C'est une des raisons pour lesquelles la question de la terminologie est importante — le fait de rendre politiquement acceptable le travail en matière de défense des droits de l'homme qualifié comme tel, élargit potentiellement l'espace de l'activisme, et facilite la participation à des projets de coopération sur ce thème.
Un tel engagement n'aboutirait pas forcément aux situations que le gouvernement chinois qualifie de « confrontations » et rejette, mais pourrait encourager les autorités chinoises à s'engager dans des projets qui correspondent à leurs priorités dans le domaine des droits de l'homme, comme la formulation d'un Plan d'action national relatif aux droits de l'homme avec l'aide des Nations Unies, en utilisant les méthodes recommandées plus haut. Cela pourrait ouvrir le champ de l'engagement et renforcer l'impact des programmes mis en œuvre par les donneurs. Cela permettrait de susciter un débat national, qui créerait un espace pour les défenseurs chinois des droits de l'homme — un élément décisif pour favoriser des changements pratiques sur le terrain. -
Traduit de l'anglais par Raphaël Jacquet
 
         
        