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Vers une sociologie chinoise de la « civilisation communiste »A Pékin, un groupe de sociologues de l'Université Qinghua propose une nouvelle orientation de recherche
Bannie des universités et des centres de recherche chinois pendant presque trente ans, la sociologie est réhabilitée au début des années 1980 par le pouvoir politique qui appelle les sociologues à se joindre au projet de modernisation du pays (1). Sous la tutelle du dogme marxiste-léniniste, l'enjeu est de « reconstruire-restaurer » (chongjian huifu) une sociologie « chinoise » et « socialiste » (2). L'équation à résoudre pour les sociologues peut se résumer ainsi : comment combiner dogme marxiste, théories et méthodes sociologiques occidentales et contexte chinois ? Le développement de la discipline ces vingt années est marqué par une libération progressive de la tutelle idéologique. Mais la question de l'utilisation de connaissances produites en Occident pour étudier la société chinoise demeure entière, les réponses variant souvent entre les pôles universaliste et culturaliste (3). L'objectif de cet article est de présenter une réponse novatrice, par ses ambitions théoriques et méthodologiques, à cette question. Développée par un groupe de chercheurs du département de sociologie de l'Université Qinghua, « la sociologie pratique » (shijian shehuixue) assigne un nouvel objet de recherche à la discipline en Chine – l'étude de la « civilisation communiste » (gongchan zhuyi wenming) et de ses transformations, et propose un cadre théorique et méthodologique adapté. Comment cette « formule de recherche » (4) a-t-elle émergé ? Pourquoi s'est opéré le passage d'une sociologie « socialiste » à une sociologie du communisme et de ses transformations ? Et comment se traduit-elle dans la pratique du terrain ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre. Au-delà des enjeux purement académiques se pose la question de l'engagement des sociologues et de l'usage social de leurs productions scientifiques : à quoi et à qui sert cette nouvelle sociologie ?
L'« énigme » des campagnes chinoises
En mai 2000, le premier numéro de Qinghua shehuixue pinglun (Tsinghua Sociological Review) (5), la revue du tout jeune département de sociologie de Qinghua, consacre un dossier spécial à la question des relations entre l'Etat et la société dans les campagnes chinoises contemporaines (6). Aboutissement de plusieurs années de recherches empiriques, le dossier s'ouvre sur une réflexion théorique – de quels outils dispose la sociologie pour analyser les relations entre l'Etat et les paysans dans la Chine contemporaine ? Cette réflexion menée par Sun Liping, l'un des fondateurs du département de sociologie de Qinghua, part d'une interrogation sur le contrôle exercé par le pouvoir politique dans les campagnes chinoises. La disparition des communes populaires et la redistribution des moyens de production collectifs aux foyers paysans dès la fin des années 1970 suggèrent un affaiblissement des structures locales du pouvoir dans les campagnes. Pour certains, ce « retrait de l'Etat » conduirait à une véritable autonomie des campagnes. Or, souligne Sun Liping, ce n'est qu'un aspect de la scène. A cette vision d'un retrait des autorités s'oppose une autre vision, celle d'un maintien de l'application de la volonté de l'Etat. La perception des grains, des impôts et des différentes taxes, mais aussi l'application du contrôle des naissances, missions de base des représentants locaux de l'Etat, sont, malgré les difficultés, en grande partie réalisées. Comment expliquer ce paradoxe ? Le sentiment d'être face à une énigme théorique conduit les sociologues à mettre en question les cadres d'observation et d'analyse traditionnelles, et à chercher une nouvelle approche qui dépasserait une vision dichotomique et statique de l'Etat et de la société.
Pour observer au plus près les formes concrètes des relations entre les paysans et l'Etat, la stratégie de recherche développée consiste à partir d'«événements», envisagés comme des « processus dynamiques » (7). Sun Liping et Guo Yuhua se penchent ainsi sur la collecte des quotas de céréales vendus à l'Etat (ding gou liang). Dans un contexte de transition, quelles ressources vont mobiliser les cadres du district et du village pour parvenir à percevoir la quantité de grains imposée aux paysans? Ma Mingjie analyse l'intervention d'un secrétaire du Parti dans l'économie d'un district du Nord-Est de la Chine et met en lumière les techniques de mobilisation utilisées par ce dernier pour « forcer les paysans à s'enrichir ». Ying Xing et Jin Jun retracent l'action collective de shangfang (recours aux échelons supérieurs de la hiérarchie administrative pour résoudre une injustice) menée pendant plus de dix ans par des paysans déplacés à la suite de la construction d'une station hydroélectrique.
Dans ces trois études de cas, l'accent est mis sur la description et la recomposition détaillée des événements. S'appuyant sur une méthodologie qualitative, proche de l'anthropologie, qui utilise observation participante (8), et entretiens approfondis, il s'agit, avant toute analyse, de faire « revivre » ces événements, de rendre compte des interactions entre les différents acteurs. Cette attention portée aux interactions permet d'éclairer sous un autre jour les rapports de pouvoir. Sun Liping et Guo Yuhua décrivent ainsi comment au cours de la perception des grains, les cadres locaux vont combiner « force et bonne parole » (ruan ying jian shi), c'est-à-dire recourir aux instruments formels de l'Etat mais aussi à des ressources informelles pour arriver à leurs fins. Ying Xing et Jin Jun montrent que la société peut aussi, dans certaines conditions, mobiliser les ressources formelles, comme la procédure de shangfang. Analysant le processus de réactivation des structures de base du pouvoir, Ma Mingjie attire l'attention sur le fait que le pouvoir politique exercé localement ne découle pas de manière automatique de l'existence de structures organisationnelles.
En insistant sur la nécessité d'une observation minutieuse des pratiques effectives du pouvoir et en montrant la complexité des relations entre l'Etat et la société, les auteurs affichent leur volonté de se démarquer des deux paradigmes qui dominent les recherches sur la Chine. Le premier, qualifié de « théorie du centralisme étatique » (guojia zhongxin lun) (9), privilégie l'analyse des structures de domination et des appareils de l'Etat et du Parti, et insiste sur le contrôle total exercé par le sommet sur la base, ou par le pouvoir politique sur la société. En réaction à ce paradigme totalitaire, s'est développée, à partir des années 1980, une autre vision qui privilégie l'étude de la société et de la culture populaire, la mise en avant des phénomènes de résistance sociale, et conduit, dans sa forme la plus radicale, à l'image d'une société paysanne traditionnelle très faiblement touchée par le pouvoir et les structures étatiques. Comme le souligne Sun Liping, cette vision « indigène » (bentuxing) a un écho important en Chine dans les années 1990, les anthropologues chinois se lançant dans un « mouvement de recherche du temple » (xun miao yundong) (10). Face à ces deux paradigmes, les études présentées dans ce dossier et les résultats auxquels aboutissent les auteurs apparaissent donc comme de véritables cas critiques (critical cases) qui vont remettre en cause les catégories et les cadres de pensée.
A travers les deux premiers cas, c'est l'opposition analytique entre un Etat fort qui détient le monopole des ressources officielles et une société faible qui dispose uniquement des ressources informelles qui se voit contestée empiriquement. De la même façon, le troisième cas invite à déplacer le regard sur le fonctionnement effectif des structures.
Si, face à ces deux paradigmes, la méthode proposée dans ce dossier spécial se présente avant tout comme une « stratégie de recherche », comme une façon d'accéder à un autre niveau de réalité, et non comme un nouveau paradigme, elle repose pourtant sur une autre vision du pouvoir. C'est dans la vie quotidienne des paysans chinois que les sociologues doivent chercher les phénomènes de domination, doivent dévoiler les mécanismes secrets du pouvoir. Cette position, fortement inspirée des travaux de Pierre Bourdieu, conduit à porter l'attention non plus sur les structures statiques, mais sur les pratiques et les interactions envisagées de manière dynamique. L'émergence de cette position doit être envisagée comme une tentative d'appréhender les transformations économiques et sociales que traverse la Chine. Les sociologues, confrontés à un contexte particulier de transition vers une économie de marché, mais avec le maintien des structures politiques, placent au cœur de leur interrogation la recomposition des relations entre l'Etat et la société. Pour comprendre en profondeur la portée de ces changements, l'interrogation sur les rapports de pouvoir actuels ne peut éviter une réflexion historique sur la nature de la domination exercée par le pouvoir politique depuis 1949. C'est ce à quoi tente de répondre le projet d'histoire orale des campagnes.
Face à l'histoire officielle, le projet d'histoire orale
Au début des années 1990, Sun Liping lance avec ses étudiants du département de sociologie de l'Université de Pékin un projet d'histoire orale. Pour les participants à ce projet, l'objectif est double : il s'agit à la fois de recueillir des sources orales sur les changements sociaux intervenus dans les campagnes chinoises depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, mais aussi à travers la description et l'analyse de la vie sociale dans les campagnes de « révéler et interpréter la cause de ces transforma-tions » (11). Pourquoi, alors que le pays est entièrement tourné vers l'avenir et la modernisation économique, se lancer dans un tel projet ? Celui-ci est né du constat du manque de « sources populaires » (minjian ziliao) sur la vie quotidienne des paysans et ses changements depuis cinquante ans, explique Sun Liping:
« Quand nous nous sommes orientés vers la description des processus sociaux, nous nous sommes aperçus que nous ne disposions pas de sources pour analyser ces expériences. La méthode d'histoire orale était donc à l'époque envisagée comme un moyen de recueillir ces sources. Pour prendre un exemple, le système de responsabilité individuelle des terres consiste en un partage des champs entre les individus. Dans les bibliothèques, les études sur ce sujet dépassent sûrement le millier d'ouvrages. Mais si l'on veut savoir précisément comment s'est opéré le partage dans un village, ce qui a été partagé exactement, et les conflits qui sont apparus pendant le processus de répartition, on ne trouvera aucune réponse à ces questions dans les ouvrages. Certains livres traitent de la situation d'un village, mais ils ne présentent pas le processus concret de partage. C'est dans ce contexte que nous avons décidé de recourir à l'histoire orale pour récolter des sources non officielles de la société afin de les comprendre et de les conserver » (12).
Confrontés à une histoire officielle, une histoire du Parti ou de la Révolution (13), les sociologues décident de recourir à des entretiens approfondis avec des paysans et des cadres de village qui ont vécu personnellement ces transformations, afin de recueillir une autre histoire, plus « authentique », et de « combler le vide » qui existe dans ce domaine (14). Ambitieux, le projet l'est à la fois par la période historique couverte, un demi-siècle, et le souci d'appréhender ces transformations sur l'ensemble de l'espace chinois. Six villages répartis sur le nord-est, le nord, le nord-ouest, le sud-est, le sud et le centre-sud de la Chine sont choisis comme cas d'études et le projet est divisé en six périodes historiques: la réforme agraire, le mouvement de coopération, les communes populaires et le Grand Bond en avant, le mouvement d'éducation socialiste, la Révolution culturelle et enfin la politique de réforme et d'ouverture (15). Il faut souligner ici l'originalité de la démarche et du questionnement des auteurs de ce projet : à une époque où la sociologie en Chine est majoritairement engagée dans des recherches sur la modernisation et ses effets, où la voie principale est celle de l'ingénierie sociale, le projet d'histoire orale investit un nouveau champ de recherche, celui de la révolution. En empruntant le chemin des mémoires orales, l'enjeu est de découvrir le sens de la révolution maoïste et son impact sur la société chinoise.
Dans son mémoire (16), Fang Huirong s'interroge sur la pratique du pouvoir communiste pendant la réforme agraire. Portant son attention sur le mouvement de « dénonciation des souffrances » (suku), son argument central est que la pénétration du pouvoir communiste dans les campagnes ne s'est pas opérée uniquement à partir de mesures économiques (la redistribution des terres aux paysans), mais plus fondamentalement à partir d'une transformation de la relation des paysans au passé et à l'Autre.
Sans présenter l'ensemble de la démonstration de Fang Huirong (17), on peut souligner deux points essentiels : d'abord l'attention portée au lien entre enquête sociale et pouvoir en Chine communiste. La mise en œuvre de la réforme agraire imposait la répartition des paysans entre les différentes classes sociales (18) établies par le Parti. Comment effectuer cette répartition ? Revenant sur le travail d'enquête réalisé par les différentes équipes de travail (gongzuo zu) envoyées à plusieurs reprises dans le village qu'elle étudie, Fang Huirong montre que ces enquêtes s'inscrivent dans une relation de pouvoir : les enquêteurs chargés de déterminer l'appartenance de classe des individus dans la nouvelle société, vont mettre en pratique une nouvelle forme d'investigation, fondée sur la suspicion et la recherche de preuves, qui sera largement utilisée lors des campagnes politiques successives.
Fang Huirong insiste sur les contradictions entre les exigences des enquêteurs et les mémoires des paysans, mais un prolongement de sa réflexion conduit à s'interroger sur les pratiques des sociologues. Dans une Chine où enquête sociale rime avec pouvoir, comment éviter d'être vu comme le représentant du pouvoir? Comment échapper à cette relation particulière entre enquêteur et enquêté ? Dans le choix des terrains et la pratique des enquêtes, ces précautions méthodologiques font l'objet d'une attention spécifique.
Le cœur de la réflexion de Fang Huirong porte sur un autre aspect du rôle des équipes de travail dans le village, celui de mobilisation des paysans pour « dénoncer les souffrances » (suku). A travers l'étude approfondie du mode de narration utilisé par les paysans, elle montre comment la dénonciation collective des souffrances impose un sens nouveau au passé et contribue à construire une opposition entre la « vieille société » et la « nouvelle société » dans les représentations des paysans. « Plus puissante qu'un enseignement idéologique » (19), cette dénonciation des souffrances donne une première clé de compréhension pour la pénétration du pouvoir communiste dans les campagnes.
Dans un autre article (20), Sun Liping et Guo Yuhua approfondissent la réflexion sur le mouvement de dénonciation des souffrances, et montrent comment le pouvoir se réapproprie cette pratique ancienne qui va servir à construire chez les paysans les classes sociales, mais aussi une certaine représentation de l'Etat comme incarnation du « peuple » (renmin) ou des « masses » (qunzhong). La relation construite, soulignent les auteurs, est fort distincte de celle qui s'est construite historiquement en Occident : ce n'est pas en tant que citoyen (gongmin) que l'individu est lié à l'Etat, mais en tant que membre d'une classe sociale qui compose le peuple.
A travers l'exemple de la réforme agraire, les auteurs du projet d'histoire orale éclairent l'influence du pouvoir communiste sur la société chinoise. Cette influence ne s'exerce pas seulement à travers des mesures économiques ou en recourant à la force et à la propagande, mais aussi de manière plus « subtile » et « secrète » à travers la production d'un véritable habitus porteur d'une nouvelle vision du monde et de nouveaux principes de division. Ces découvertes conduisent les sociologues à redéfinir non seulement leurs pratiques, mais également leur objet de recherche : « c'est au cours de cette période que nous avons été véritablement confrontés à la “civilisation communiste” », déclarent Sun Liping et Guo Yuhua (21).
Etape importante dans le parcours intellectuel des chercheurs, le projet d'histoire orale marque aussi les débuts d'une entreprise de recherche collective. C'est au cours de cette période que Sun Liping invite Guo Yuhua et Shen Yuan, à l'époque chercheurs à l'Académie des sciences sociales, à se joindre au projet et à participer aux débats. La création du département de sociologie à Qinghua constituera une autre étape dans le parcours de ces chercheurs en favorisant l'intégration de ces diverses intuitions dans un cadre théorique plus construit. Mais avant de présenter ces nouvelles orientations, il nous faut d'abord présenter la création de ce département et le projet qui a présidé à sa fondation.
Le rôle du sociologue
Le département de sociologie de l'Université Qinghua est officiellement créé en mai 2000, après plusieurs mois de préparation (22). Petite structure composée d'une dizaine de chercheurs, le département est né en partie de la volonté de l'Université de développer un pôle sciences sociales. Mais pour les chercheurs qui ont participé à la fondation de cette nouvelle institution, le défi était de créer un nouvel environnement académique, rappelle Shen Yuan, actuellement vice-directeur du département : « Nous voulions créer un environnement académique vivant, un environnement académique capable de faire face à la complexité et à la richesse de la vie sociale (...) Nous espérions avoir la capacité d'affronter les vrais problèmes de la société chinoise, mais en même temps nous voulions pouvoir établir un dialogue constructif avec la théorie sociale contemporaine. A l'époque, nous avions l'impression que cet idéal ne pouvait être réalisé dans les autres départements, nous ne pouvions que créer un nouveau département (...) où nous pourrions poursuivre en commun des projets de recherche, où nous pourrions débattre et échanger nos idées » (23).
Pourquoi insister sur la nécessité d'« affronter les vrais problèmes de la société chinoise » tout en maintenant « un dialogue avec la théorie sociale contemporaine » ? Et comment combiner les deux ? Sun Liping livre une première clé en revenant sur l'histoire récente de la discipline en Chine : « La décennie 1980 est essentiellement une décennie de “l'indigénisation” (bentuhua) (...) Nous ne savions pas ce qu'était l'objet de recherche commun de cette discipline, nous n'avions aucune idée de son état de développement, c'était plutôt les problèmes de la société chinoise qui nous inquiétaient.
Si les sociologues chinois ne les résolvaient pas, nous ne pourrions entrer dans le XXIe siècle! Les recherches suivaient par ailleurs une orientation très officielle, (...) le socialisme, puis l'entrée dans le XXIe siècle. Mais dans les années 1990, la situation de la sociologie chinoise a commencé à évoluer, les échanges avec le monde académique international ont progressivement augmenté et, plus fondamentalement, il y a eu un changement d'identité (...). A l'origine, les intellectuels chinois disaient: “je dois m'occuper de cette société”. Eh bien le changement d'identité, c'est que maintenant je dispose de connaissances, je reconnais l'existence d'une communauté de connaissances, dont je suis un élément » (24).
On assiste donc au cours des deux décennies à un processus de spécialisation et de professionnalisation des sociologues en Chine. La décennie 1990 voit en particulier arriver sur le devant de la scène une nouvelle génération de chercheurs, formés spécifiquement en sociologie à l'étranger ou en Chine continentale. Pour ces derniers, la sociologie n'est plus seulement un «outil» pour résoudre les problèmes de la société chinoise, mais constitue une discipline scientifique avec ses propres enjeux et normes. Développer la discipline en Chine devient ainsi un objectif en soi, dans le cadre d'un environnement scientifique international. Ce phénomène s'accompagne également d'une progressive libération de la tutelle idéologique. Ce changement est particulièrement sensible dans le vocabulaire utilisé par les sociologues – la phraséologie marxiste est beaucoup moins présente dans les productions sociologiques, mais également dans le choix des sujets, la dimension normative des recherches, caractéristique du début des années 1980, laissant peu à peu la place à une vision technique ou neutre (25).
Toutefois, le passage de l'intellectuel traditionnel à l'expert ne se fait pas sans soulever certaines interrogations sur le sens de la recherche sociologique. Sun Liping et Guo Yuhua résument ainsi les dangers de cette spécialisation : « Au cours de ce processus [de spécialisation], on a pu observer une autre tendance, à savoir un affaiblissement de la conscience des problèmes réels de la société chinoise, ou plus fondamentalement une coupure, dit Sun Liping. Les chercheurs mènent des enquêtes en Chine, puis prennent une petite partie de ces matériaux, la partie la moins importante, et vont avec cela rechercher le dialogue international ». « L'autre tendance, ajoute Guo Yuhua, c'est de “les concepts occidentaux à toutes les sauces”, en intégrant [systématiquement] les concepts à la mode dans leurs recherches » (26).
La critique de la figure du « scientifique » se développe en réalité sur plusieurs niveaux. Tout d'abord, est évoqué le risque d'une dérive « formaliste » qui légitime par l'usage de concepts scientifiques abstraits des opinions du sens commun (27). Mais c'est également l'importation de concepts produits en Occident et leur utilisation pour qualifier un contexte chinois qui sont questionnées.
« On a ce problème aujourd'hui avec Michel Foucault et Pierre Bourdieu, explique Sun Liping. Ils ont créé des concepts et des théories qui correspondaient à certains problèmes de leur époque, à un certain contexte. Si on reprend simplement leurs concepts, cela ne sert à rien » (28). Le problème de la contextualisation et de l'utilisation des théories sociologiques se pose d'autant plus sérieusement que les recherches ont des enjeux politiques ou répondent à une demande des pouvoirs publics. C'est le cas par exemple des recherches sur les communautés urbaines qui se sont multipliées ces dernières années en Chine, largement financées par les pouvoirs publics dans le cadre de la politique de la construction des communautés (shequ jianshe). Comme le souligne Shen Yuan lors d'un séminaire de lecture (29), « les recherches sur les communautés viennent directement des Etats-Unis, nous avons subi leur influence, or la notion de “communauté” telle qu'elle est utilisée aujourd'hui en Chine n'a rien à voir avec les communautés observées par les sociologues aux Etats-Unis ».
A travers ces considérations, c'est bien le lien entre science et idéologie, entre sociologie et pouvoir qui est interrogé. C'est à cet esprit de réflexivité qu'appelle Guo Yuhua pendant un cours de sociologie rurale (30). Rappelant aux étudiants la nécessité de combiner réflexion théorique et attention aux problèmes de la société chinoise, elle insiste sur la « vocation » particulière du chercheur qui doit en permanence adopter une attitude réflexive à l'égard des relations de pouvoir: « Pourquoi se préoccuper de la résistance des paysans ? Le raisonnement le plus répandu au sein du gouvernement, des chercheurs ou des urbains est celui de la stabilité sociale, qui considère les paysans surtout en raison de leur nombre. En adoptant ce raisonnement, on se place du point de vue des dominants. Nous devons être du côté des paysans ».
Mais se placer du point de vue des dominés ne doit pas conduire à se transformer en « porte-parole » (dai yan ren) car, comme l'explique Guo Yuhua à ses étudiants, se faire le porte-parole c'est développer une « relation paternaliste » avec ces derniers et investir la scène politique.
On peut voir dans ces conseils formulés aux étudiants-chercheurs du département une sensibilité particulière à l'égard de la mission du sociologue et le souci constant d'éviter les relations de pouvoir. Comment dans la pratique parvenir à réaliser cet idéal ? Au-delà des précautions méthodologiques, le problème soulevé par Sun Liping, Guo Yuhua et Shen Yuan réside bel et bien dans la construction de l'objet de recherche. A travers ces questionnements, c'est une reformulation globale des enjeux et objectifs de la sociologie chinoise qu'ils vont initier.
« La civilisation communiste » : un nouvel objet de recherche
Prolongeant leurs réflexions antérieures, Sun Liping, Guo Yuhua et Shen Yuan développent au sein du département de sociologie de Qinghua un axe de recherche centré sur les « transformations sociales » (shehui zhuanxing). Derrière ce titre général, il s'agit en réalité d'amorcer une réflexion sur les transformations des systèmes communistes, en particulier sur « la transition vers le marché » (shichang zhuanxing) en Chine et les transformations sociales qui l'accompagnent. Comment le marché est-il apparu en Chine à la fin des années 1970 ? Quelles sont les relations entre Etat et marché ? Si l'interrogation sur l'apparition et l'essor des marchés en Chine n'est pas nouvelle et a déjà fait l'objet de recherches de leur part (31), le nouveau département va constituer un cadre privilégié pour mener une réflexion approfondie. Un enseignement spécialisé est ouvert qui doit permettre aux étudiants-chercheurs de parcourir l'ensemble de la littérature produite sur cette question (32). Elle comprend à la fois la littérature classique sur le socialisme, en particulier d'un point de vue économique et social, avec des auteurs comme Polanyi, Mannheim et Schumpeter; mais aussi les productions sur les transitions des régimes communistes en ex-Union soviétique et en Europe de l'Est (33), ainsi que des articles sur le cas chinois (34). Ce cours veut, à partir de ces lectures, mener une réflexion sur la nature du système communiste et ses transformations, et surtout s'interroger sur la spécificité du cas chinois.
Dans plusieurs articles (35), Sun Liping fait une comparaison entre la transition vers le marché en Europe de l'Est, analysée par l'Ecole de Budapest, et le processus que connaît la Chine. Sa réflexion articule deux niveaux : un niveau empirique qui porte sur la caractérisation de ces différentes transitions et un niveau théorique qui, partant de la différence empirique observée, s'interroge sur les outils d'analyse spécifiques à chaque processus. Sun Liping met plusieurs éléments en avant. Tout d'abord, il souligne que l'attention particulière portée par l'Ecole de Budapest aux changements structurels et à la question des élites, de même que le recours à des enquêtes à grande échelle, s'accordent avec la forme qu'a prise la transition dans ces pays. En effet, la transition y a été précédée par l'effondrement du système politique et de son idéologie dominante. Cela a ouvert la possibilité d'un changement économique mené par l'Etat, dans un cadre juridique, avec une intervention très forte de nouvelles élites, économiques et intellectuelles. Or en Chine, fait remarquer Sun Liping, ce processus s'effectue dans le cadre d'une continuité du régime politique, aussi les changements économiques vont-ils s'opérer selon deux stratégies: l'intégration des mesures de réforme à l'intérieur de l'idéologie officielle (on peut penser, par exemple, à la formule de « l'économie de marché socialiste ») ou le « non-débat ». Cette particularité va avoir à son tour des répercussions sur le fonctionnement de la vie sociale: comme le résume Sun Liping, « cela revient à faire sans le dire », ou à « s'accommoder aux circonstances » (36).
Cette singularité du cas chinois nécessite de trouver de nouveaux outils d'analyse. C'est ce que propose Sun Liping en développant le concept de « sociologie pratique » qu'il définit ainsi : « Invoquer une sociologie qui se confronte à la pratique, ce n'est ni insister sur le caractère pratique de la sociologie en elle-même comme discipline scientifique, ni souligner l'utilisation possible des connaissances sociologiques dans la vie concrète. Invoquer une sociologie qui se confronte à la pratique, cela veut dire faire face aux événements sociaux dans leurs formes pratiques, c'est-à-dire prendre les situations pratiques comme objet de recherche de la sociologie. Qu'est-ce donc que la pratique ? Que sont les formes pratiques des événements sociaux ? De manière générale, les situations pratiques, ce sont les processus de fonctionnement concrets des facteurs sociaux » (37).
On retrouve ici les intuitions qui avaient été développées dans le dossier du premier numéro de la revue de Qinghua, consacré aux relations entre l'Etat et les paysans, en particulier l'attention accordées aux formes pratiques des événements. Toutefois, au cours de la réflexion sur la transition vers le marché s'est opéré un changement important : le passage du concept d'« analyse des processus événementiels » à celui de « sociologie pratique ». Il ne s'agit plus seulement de proposer une « méthode » ou une « stratégie de recherche », ou encore un « style », mais plutôt une nouvelle approche sociologique, ou une nouvelle « formule de recherche », qui se présente comme un ensemble organisé, et propose à la fois une nouvelle grille d'analyse des phénomènes sociaux, et une méthodologie adaptée (38). Le cœur de cette approche réside dans la définition très claire d'un nouvel objet de recherche (yanjiu duixiang) : la « logique de fonctionnement de la civilisation communiste » (gongchan zhuyi wenming de yunzuo luoji).
Mais comment comprendre le concept de « civilisation » ? Si le terme présente l'avantage d'être relativement « neutre » d'un point de vue politique, il réfère également à l'idée d'un « fait social total », qui inclut à la fois les dimensions politique, économique, sociale, et culturelle. Shen Yuan nous en offre une première définition (39): « La société chinoise appartient aussi à la civilisation communiste. La civilisation communiste est une collectivité complexe: elle comprend un ensemble de dispositions institutionnelles (zhidu anpai), mais aussi un certain nombre de modalités d'action des individus. Elle comprend aussi toutes sortes d'idéologies. Tout cela forme un tout dans la vie quotidienne. Nous allons observer la formation d'un “manuscrit”» (wenben), mais aussi les normes d'action qui sont présentes dans les cerveaux des gens. Toutes ces choses, nous disons qu'elles forment un ensemble complexe, c'est la civilisation communiste. Sa formation, son développement, ses transformations, nous les définissons comme l'objet de recherche de la sociologie chinoise ».
On voit dans cette première explication que le terme définit une totalité complexe qui inclut des « institutions », c'est-à-dire des façons d'organiser la vie sociale et de répartir les ressources, que ce soit d'un point de vue économique, politique ou social (on peut penser par exemple au système d'économie planifiée et au mode particulier qu'il induit dans la répartition des ressources économiques, mais aussi aux formes d'organisation du travail et de la vie sociale dans le système particulier que sont les danwei, ou encore aux critères de classification sociale, etc.). Mais le terme englobe aussi les logiques d'action des individus, ainsi qu'un ensemble de croyances et de visions du monde. Il faut également souligner l'accent mis sur les transformations de cette civilisation communiste. Shen Yuan précise qu'il s'agit d'étudier à la fois son émergence, son développement et ses transformations. Le programme de recherche s'étend donc sur une longue période historique, qui inclut l'ère des réformes.
Amorcée par le projet d'histoire orale, et l'interrogation sur les relations entre l'Etat et la société, la formule de recherche proposée par Sun Liping, Guo Yuhua et Shen Yuan déplace les enjeux du rapport entre connaissances sociologiques produites en Occident et société chinoise. Ce n'est pas l'opposition entre connaissances occidentales et culture chinoise qui est mise en avant, mais plutôt le décalage entre des connaissances sociologiques produites à partir d'une interrogation sur le capitalisme, et l'expérience communiste dans laquelle a été plongée la société chinoise.
Pour Shen Yuan (40), la définition de cet objet de recherche permet de surmonter les problèmes de la sociologie chinoise en offrant une problématique générale:
« C'est un dépassement très important. Il ne faut pas croire que tous les sociologues chinois savent ce qu'ils étudient. Quand ils commencent, ils n'ont pas de concept total. Ils disent “j'étudie la famille, j'étudie l'usine”, mais ils ne savent pas que la famille ou l'usine sont des systèmes produits par la civilisation communiste. Ils vont mener des enquêtes et des entretiens sans avoir conscience de cela. (...) Leur principal problème c'est qu'ils ne voient que l'arbre et pas la forêt. (...) Mais la famille ou l'usine étudiées, si on ne les inscrit pas d'abord dans une interrogation sur la civilisation communiste, l'on commet une erreur très grave. (...) L'erreur la plus grande de la sociologie chinoise, c'est qu'elle n'a pas défini d'objet de recherche. Lorsque nous évoquons la civilisation communiste, [cela veut dire que] nous pouvons partir de domaines différents pour l'étudier. Cela peut nous aider à expliquer comment utiliser la théorie occidentale pour faire face aux problèmes de la Chine. Sans cela, ce problème est insoluble ».
Si, comme le rappelle Sun Liping, les « grands maîtres de la sociologie », Marx, Durkheim et Weber, malgré leurs approches différentes, s'interrogeaient sur le même objet, le capitalisme, le problème auquel sont confrontés les sociologues aujourd'hui en Chine est celui du communisme et de la société qui le caractérise. Dans ce sens, l'interrogation développée ici ne se présente pas comme une « nouvelle sociologie » mais plutôt comme un retour aux grandes questions qui ont travaillé la sociologie classique (41).
Et cette réflexion constitue pour Sun Liping un champ de recherche à part entière, dans lequel s'intégreraient les études sur la Chine, mais aussi plus généralement l'ensemble des sociétés qui ont connu ou connaissent le communisme: « Nous pouvons partir d'endroits très différents, de la culture, de l'histoire, des réseaux sociaux, des relations entre l'Etat et la société, des communautés, des xiagang (licenciés des entreprises d'Etat), de la sécurité sociale, des migrants, peut-être que ce que chacun fera sera complètement différent, mais ce qui est très clair pour nous, c'est que ces recherches doivent être intégrées à un champ de connaissances sur le communisme et ses transformations (42) ».
Ce nouveau champ de connaissances peut même représenter, comme le souhaite Shen Yuan, une «nouvelle source d'inspiration» pour la sociologie et plus généralement les sciences sociales (43): « cette source d'inspiration a été bloquée pendant une longue période, en partie à cause de la guerre froide (...). Mais maintenant la situation est différente, on peut l'étudier plus calmement, ces différentes expériences peuvent contribuer à produire des concepts qui pourront être utilisés de manière universelle par les sciences sociales ».
Pour ces universitaires, l'enjeu n'est pas strictement scientifique. Génération qui a vécu de plein fouet la période maoïste et l'ère des réformes, il s'agit, à partir de cette réflexion sociologique, de revenir sur ces expériences et de les comprendre: « Au cours de la formation progressive de nos pensées, c'est l'ensemble de l'histoire et de la culture de cet Etat-Nation qui a connu une très grande transformation [la politique d'ouverture et de réforme]. La phase antérieure [la période maoïste] nous l'avons vécue, la phase postérieure, nous l'avons également vécue. Les gens plus âgés que nous ont surtout vécu la phase antérieure, c'est pourquoi à l'égard du processus de transformation de la phase postérieure, ils ont surtout une attitude de plainte et ne comprennent pas. Les membres de la génération qui nous suit, quand ils sont arrivés à l'âge de comprendre les choses, ont surtout été en contact avec la phase postérieure. Pour eux, la phase antérieure est déjà une période de l'histoire très éloignée. Ce n'est pas nécessaire de la comprendre. De l'école primaire, où l'on commence à comprendre les choses, jusqu'à quinze-seize ans, où les représentations du monde se forment, nous avons uniquement connu le système communiste. Ensuite, à partir de l'âge de dix-sept, dix-huit ans, nous avons été les témoins du processus de changement, un changement si profond comme l'Histoire n'en a pas connu d'autres. Nous sommes la génération qui a vécu ce changement » (44).
L'appel à « rattraper le retard » que lançait Deng Xiaoping à la sociologie en 1979 semble s'être au cours de ces vingt dernières années réalisé (en suivant une orientation différente évidemment). La sociologie chinoise a non seulement gagné la confiance du pouvoir, mais a également investi la scène internationale avec des travaux de qualité et novateurs. Parmi ceux-ci, l'orientation proposée par Sun Liping, Guo Yuhua et Shen Yuan constitue sans doute l'une des plus originales et des plus abouties sur le plan théorique et méthodologique. En axant leurs recherches sur la «civilisation communiste» et ses transformations, ils ouvrent une voie nouvelle. Non seulement ils transforment le projet initial d'une sociologie socialiste, souhaité par le pouvoir, en une sociologie du communisme, mais ils contribuent également à renouveler le débat sur les rapports entre théories sociologiques produites en Occident et contexte chinois. Ce ne sont plus deux cultures qui s'opposent dans ce rapport, mais deux trajectoires historiques distinctes, l'une marquée par le capitalisme et l'autre par le communisme. L'accent mis sur les études qualitatives, sur l'observation minutieuse des événements et pratiques de la vie quotidienne tout en maintenant une réflexion théorique poussée, contraste également avec l'enclin actuel des recherches en Chine pour les enquêtes quantitatives. Mais si ces travaux font figure de pionniers au sein de la jeune discipline chinoise, la question de leur réception demeure entière. A l'heure où le pays est entièrement (ou presque) tourné vers l'avenir et la modernisation, où les « experts » ont le vent en poupe, quelle place reste-il pour une sociologie réflexive qui s'interroge sur son passé pour essayer de comprendre son présent?
annexes
Shen Yuan
Né en 1954, Shen Yuan a d'abord suivi une formation en philosophie (maîtrise à l'Université Renmin en 1986). De 1989 à 1999, il est chercheur à l'institut de sociologie de l'Académie des sciences sociales, où il assume successivement les fonctions de directeur du bureau des recherches scientifiques (1989-1997), de responsable du bureau de rédaction et de rédacteur adjoint de la revue Shehuixue yanjiu (1997-1999). En 1998, il obtient le titre de docteur, avec un mémoire intitulé «Commentaire des recherches sur le marché de la nouvelle sociologie économique». Actuellement vice-directeur du département de sociologie de l'Université Qinghua, ses champs de recherche sont la sociologie économique, ainsi que la sociologie des organisations et du travail.
Parmi les projets de recherche auxquels il a participé, on peut citer le programme de recherche sur la justice sociale, en collaboration avec le CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France), ainsi qu'une recherche sur les marchés ruraux de la Chine du Nord. Prolongeant ses réflexions sur la spécificité du processus d'industrialisation de la Chine du Nord (production à partir d'ateliers domestiques dans des zones rurales), ses travaux actuels portent sur les nongmingong du Nord de la Chineet la nature singulière de leur intégration au monde ouvrier (migration d'une zone rurale à une autre et travail au sein des foyers paysans). Fortement inspiré par Alain Touraine et sa méthode d'intervention sociologique, le programme développé vise notamment à intervenir sur les relations de travail entre paysans-producteurs et paysans-ouvriers (droits de disposer de son corps, droits du travail, et droits à une participation à la vie publique).
Trois de ses articles ont été publiés en français: «L'affaire du tirage au sort. Principes de justice et d'équité des commerçants d'un marché du Nord de la Chine», in Isabelle Thireau et Wang Hansheng (éd.), Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2001, pp. 205-247; «Naissance d'un marché», in Etudes rurales, «Le retour du marchand dans la Chine rurale», n°161-162, janvier-juin 2002, pp.19-36; «Histoire de marques», avec Liu Shiding, ibid, pp. 67-76.
Guo Yuhua
Née en 1956, Guo Yuhua se spécialise dans l'étude du folklore et des coutumes à l'Ecole normale de Pékin. Après un doctorat en 1990, consacré à l'étude des rites funéraires populaires en Chine, elle intègre l'institut de sociologie de l'Académie des sciences sociales de Chine (ASSC). Professeur du département de sociologie de l'Université Qinghua depuis août 2000, elle effectue, de septembre 2000 à août 2001, un séjour post-doctoral dans le département d'anthropologie de l'Université Harvard, aux Etats-Unis. Ses champs d'investigation concernent l'anthropologie sociale, la sociologie rurale, ainsi que les études sur la culture populaire. Depuis plusieurs années, Guo Yuhua s'intéresse aux changements culturels et sociaux des campagnes chinoises, en particulier aux relations entre les ressources culturelles traditionnelles et la société moderne, ainsi qu'aux rapports entre la société populaire et l'Etat.
Elle a participé à de nombreux programmes de recherche en Chine («changements dans la vie sociale et culturelle des paysans de Yangjiagou de la Chine du Nord», ASSC; recherches sur le «troisième secteur» [secteur associatif] en Chine, Fondation nationale au développement de la Jeunesse) ou en collaboration avec des institutions étrangères(recherches sur la justice sociale, CNRS; projet «Culture alimentaire et changements sociaux», Université Harvard). Parmi ses projets en cours, on peut citer un programme de recherche sur le fonctionnement du système d'assurance sociale pour les employés licenciés des entreprises d'Etat, un projet d'intervention sociologique sur les droits des ouvriers mené avec Shen Yuan, ainsi qu'une étude sur l'impact de la mondialisation et les réactions locales à partir du cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) en Chine.
Parmi ses publications les plus récentes, on peut mentionner: la direction de l'ouvrage Rites et changements sociaux (Zhongguo shehui kexue wenxian chubanshe, 2000); «La collectivisation de l'esprit – Mémoires de femmes sur le mouvement de coopération agricole du village de Ji dans le Shanbei» (Zhongguo shehuikexue, n°4, 2003); «Le mouvement de dénonciation des souffrances: un mécanisme intermédiaire de production de la notion d'Etat chez les paysans» (avec Sun Liping, Zhongguo xueshu, n°4, 2002); ainsi qu'un article publié en français: «D'une forme de réciprocité à l'autre. Une analyse de la prise en charge des personnes âgées dans les villages du Hebei», in Isabelle Thireau et Wang Hansheng (éd.), Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2001, pp.39-78.
Sun Liping
Né en 1955, Sun Liping fait partie des premiers étudiants formés en sociologie en Chine depuis la recréation de la discipline (1981, Université Nankai de Tianjin). A partir de 1982, il enseigne au département de sociologie de l'Université de Pékin, puis en janvier 2001, devient professeur du département de sociologie de l'Université Qinghua. Dans les années 1980, ses recherches ont principalement porté sur la question de la modernisation de la société (La Modernisation de la société, Huaxia chubanshe, 1988).
A partir des années 1990, Sun Liping s'oriente vers une réflexion sur les changements des structures sociales en Chine et l'apparition de nouveaux groupes sociaux. Son analyse de la polarisation de la société chinoise contemporaine, et notamment le concept de
«fracture sociale» (shehui duanlie), ont eu un impact important en Chine, dépassant la sphère purement académique (Voir notamment ses deux articles: «Tendances et crise potentielle à court et moyen terme des transformations des structures de la société chinoise», avec Li Qiang et Shen Yuan, Zhanlüe yu guanli, 1998, n°5; «Nouvelles tendances dans l'évolution des structures sociales chinoises depuis le milieu des années 1990», département de sociologie, Université Qinghua, 2002).
S'orientant aujourd'hui vers une sociologie des transformations (zhuanxing shehuixue), il dirige notamment trois chantiers de recherche: un programme d'histoire orale sur les changements sociaux intervenus dans les campagnes chinoises depuis le milieu du XXe siècle, une analyse des relations entre l'Etat et les paysans dans les campagnes chinoises contemporaines, ainsi qu'un programme de recherche portant sur le passage du système de l'unité de travail à la construction de la communauté, programme qui vise à analyser le processus de transition d'une société «totale» (zongtixing shehui) à une société «post-totale» (hou zongtixing shehui).
Ses principales productions théoriques comprennent: «“Process-Event Analysis” and the Relationship in Practice between the State and the Farmers in Contemporary China» (Qinghua shehuixue pinglun, n°1, 2000); «Une sociologie qui s'oriente vers les pratiques» (Jianghai xuekan, mars 2002); «Sociologie pratique et analyse des processus de transition de marché» (Zhongguo shehui kexue, n°5, 2002). Plusieurs articles ont également été publiés en français: «Les armes faibles des forts. L'usage des normes sociales informelles dans l'exercice du pouvoir», in Isabelle Thireau et Wang Hansheng (éd.), Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2001, pp. 249-286, et «Forcer le peuple à s'enrichir!», avec Ma Mingjie, in Etudes rurales, «Le retour du marchand dans la Chine rurale», n°161-162, janvier-juin 2002, pp.165-182.
 
         
        