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Les défis de la sécurité alimentaire en ChineLa législation actuelle est incapable de protéger les consommateurs, victimes de producteurs avides de profits
Après avoir longtemps lutté contre la pénurie, la Chine a atteint l'autosuffisance alimentaire depuis 1995(1). Mais dans le Plan d'action sur la sécurité alimentaire publié par le ministère de la Santé le 14 août 2003(2), le gouvernement chinois admet qu'à l'heure actuelle la situation est « très critique » et identifie six points noirs :
- les maladies dues à l'alimentation restent le principal danger pour la santé publique ;
- la présence de nouveaux produits polluants biologiques et chimiques dans les aliments est une menace pour la sécurité alimentaire ;
- des technologies et des produits nouveaux (comme les aliments transgéniques) constituent de nouveaux défis ;
- les capacités d'autocontrôle des producteurs alimentaires sont faibles ;
- le terrorisme alimentaire émerge ;
- le contrôle de la sécurité alimentaire par les organes gouvernementaux est lent.
Plusieurs affaires ont illustré la gravité du problème au cours de l'année 2002(3). Le gouvernement doit faire face à une pression croissante de la part des consommateurs quant à la sécurité alimentaire(4). Par ailleurs, après l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les importations et exportations chinoises de produits alimentaires ont augmenté ; et cette évolution s'est accompagnée de nombreux conflits entre la Chine et ses partenaires commerciaux. L'Union européenne a, pour des raisons de sécurité(5), refusé de nombreuses fois des produits alimentaires chinois. Ces refus ont causé d'énormes pertes, quand les produits étaient déjà en cours d'expédition, et ont également découragé de futures transactions. Aussi la sécurité alimentaire est-elle devenue une priorité pour le gouvernement central.
Rappel historique
La République populaire de Chine, fondée en 1949, a promulgué sa première loi sur la sécurité alimentaire en 1965 – le Règlement sur l'administration de l'hygiène alimentaire – dont l'application était expérimentale. Ce texte concernait principalement la production alimentaire des entreprises d'Etat. Comme les législateurs étaient peu confiants dans le bon fonctionnement d'un tel règlement, ils le conçurent avant tout comme un essai. Au milieu des années 1960, peu de temps après la terrible famine des Trois Années Noires(6), le principal souci des autorités était l'approvisionnement plutôt que l'hygiène alimentaire. Cette première réglementation servit peu, en raison de l'effondrement du système légal dans la décennie suivante(7).
Avant la fin des années 1970, l'économie chinoise était strictement planifiée et contrôlée par l'Etat. Toutes les usines de production alimentaire étaient propriété d'Etat, et observaient quelques normes simples. Mais les problèmes de sécurité étaient rares car la plupart des aliments étaient produits selon des méthodes traditionnelles, sans usage intensif d'engrais chimiques, de pesticides et d'additifs. En outre, les producteurs n'étaient pas à la recherche de profits, puisque toute la chaîne de production – des matières fournies, des équipements et des technologies requises, jusqu'à la distribution et la vente – était planifiée et contrôlée par l'Etat. Il y eut quelques accidents, mais ceux-ci ne mirent pas à mal l'image de la sécurité alimentaire.
Après la Révolution culturelle et le lancement des réformes économiques à la fin des années 1970, de nombreuses lois et réglementations furent révisées ou promulguées. En 1979, fut créé le Règlement sur l'administration de l'hygiène alimentaire, basé sur le règlement de 1965 et prenant en compte la nouvelle orientation économique. Trois ans plus tard, il fut remplacé par la version de 1982 de la loi sur l'hygiène alimentaire. La poursuite de la réforme économique et les nouvelles politiques rendaient difficile la mise en place d'une loi tenant compte de la complexité d'une société en constante mutation : c'est pourquoi la loi de 1982 fut à nouveau considérée comme expérimentale. Après une douzaine d'années d'expérimentation, le gouvernement publia en 1995 une nouvelle version de cette loi, qui prenait en compte les enseignements du passé et qui est encore en vigueur aujourd'hui.
Cet article présente la législation relative à la sécurité alimentaire actuellement en vigueur, en évaluant son impact et les problèmes rencontrés. D'abord est examinée la législation sur la sécurité de l'alimentation non transgénique, puis celle sur les aliments génétiquement modifiés. Ensuite est commentée l'application de la loi. Certaines implications mises à jour par l'étude du cas chinois et pouvant concerner d'autres pays en voie de développement sont également signalées.
La législation actuelle
La « loi sur l'hygiène alimentaire » de 1995 est le plus important texte relatif à la sécurité alimentaire. Mais ni celui-ci ni les versions précédentes ne définissent le terme « hygiène alimentaire ». Quand fut promulguée la première loi en 1982, le gouvernement était principalement préoccupé par la vente d'aliments avariés, sales ou toxiques, et par les conditions non hygiéniques de fabrication. La loi de 1995 va plus loin et traite également de nombreuses questions de sécurité, comme celles des aliments préparés avec de nouveaux produits, l'alimentation en milieu hospitalier, celle des enfants(8), etc.
La loi de 1995
Promulguée par l'Assemblée populaire nationale, la loi de 1995 compte 57 articles. Outre la mention de principes généraux, elle réglemente l'hygiène alimentaire, l'usage d'additifs alimentaires, les emballages et les contenants des aliments, les conditions de promulgation des règlements et des normes et de contrôle de l'hygiène, l'exercice des responsabilités ; elle comporte également de nombreuses clauses incluant des définitions. Elle compte 12 articles de plus que la loi de 1982. Elle désigne clairement les autorités responsables(9), stipule le contrôle de l'hygiène par des Organisations non gouvernementales(ONG) et les particuliers, ordonne davantage de contrôles dans la production alimentaire, définit les aliments qu'il est interdit de produire, défend l'usage de drogues dans la nourriture, réglemente l'alimentation destinée aux militaires, etc. Sept exigences ont été formulées(10):
- l'équipement et les techniques de fabrications doivent être raisonnables ;
- les contenants de produits alimentaires doivent toujours être propres ;
- les outils pour entreposer, convoyer, charger et décharger, ne doivent présenter aucun risque ou danger ;
- les aliments destinés à être consommés immédiatement doivent être empaquetés dans des matériaux propres et non dangereux ;
- les employés doivent laver leurs mains, porter des habits propres et avoir les cheveux couverts pendant la production ou la vente d'aliments ;
- l'eau utilisée doit être conforme aux normes fixées par l'Etat ;
- les produits de nettoyage et les désinfectants utilisés doivent être sans risque et sans danger pour les êtres humains.
Ces exigences sont cruciales pour la sécurité alimentaire, mais on peut se demander si elles sont suffisantes ou même s'il est possible d'en établir une liste exhaustive. Par exemple, il est stipulé que les aliments destinés à la consommation immédiate doivent être emballés dans des matériaux propres et non dangereux, mais qu'en est-il de l'emballages des aliments précuits ? Cette lacune est caractéristique de la loi de 1995 qui n'énonce que des règles sommaires.
Bien qu'imparfaite, cette loi est le texte de base pour la sécurité alimentaire en Chine. Elle ne traite pas des questions liées à l'agriculture et à l'élevage, n'adopte pas une approche « de la terre à l'assiette » (du producteur au consommateur). Mélanger des ingrédients à la nourriture est illégal uniquement si la nutrition ou l'hygiène sont affectées. Ainsi, mélanger un riz de seconde catégorie à un riz de première catégorie, puis vendre ensuite ce mélange comme du riz de première catégorie n'est pas illégal au regard de ce texte, puisque les deux sortes de riz peuvent être nutritifs et hygiéniques. Bien sûr, ce genre d'opération est illégale, mais en vertu d'autres lois, par exemple celle sur les contrats. Cette loi, formulée sur le mode de l'énumération d'interdits, ne répond pas aux besoins actuels.
La loi de 1995 ne prévoit rien en cas de problème majeur, comme la grippe aviaire survenue en Chine au printemps 2004. Le gouvernement a certes immédiatement promulgué une série de mesures ; mais dans l'hypothèse d'un nouveau problème du même ordre, rien n'est prévu.
Les autres réglementations
Après la loi de 1995, cinq grandes catégories d'autres dispositions relatives à l'hygiène alimentaire furent élaborées. Ce sont :
- des règlements sur les aliments crus, incluant des mesures administratives sur les additifs alimentaires, les aliments transgéniques, le lait, les œufs, la viande et les produits qui leur sont liés, les produits aquatiques, les aliments préparés avec de nouvelles substances(11), etc. ;
- des règlements portant sur la production et le traitement de la nourriture, par exemple la désinfection ;
- des règlements sur l'emballage, les contenants et les équipements ;
- des règlements sur le contrôle et les sanctions ;
- des règlements sur les tests et l'inspection de l'alimentation.
Il est très difficile d'évaluer ces textes et leur application. Ils sont désignés en chinois par le terme guizhang (règlement) et peuvent être promulgués par les ministères. Les administrations ont pour habitude de formuler un nouveau guizhang pour traiter d'un nouveau problème, sans vérifier si celui-ci n'est pas en contradiction avec des lois ou règlements existants, promulgués par le passé par la même administration, ou par d'autres organes dont la juridiction couvre le même domaine. Aussi les guizhang contradictoires sont chose commune.
Les normes
A la loi et aux règlements s'ajoutent deux catégories de normes, obligatoires et volontaires. Les normes obligatoires sont pour la plupart instaurées par l'Etat ; mais les gouvernements locaux ont le droit d'établir des normes locales, à condition qu'elles n'entrent pas en conflit avec les normes nationales, ou en l'absence de ces dernières.
Quand le gouvernement instaure une norme obligatoire, il se réfère à des normes étrangères et internationales, telles que celles du Codex Alimentarius, créé par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Toutefois, se référer au Codex n'équivaut pas à l'adopter. Le niveau de protection dépend en grande partie des moyens, notamment techniques et financiers, des producteurs chinois et des intérêts commerciaux de l'Etat. Dans les années 1980, alors que la majorité des producteurs n'étaient pas capables ou n'avaient pas les moyens financiers de produire des aliments conformes aux normes du Codex Alimentarius, les normes alimentaires restaient, pour une large part, inférieures à ses exigences.
Les intérêts commerciaux sont également déterminants dans la fixation des normes. Ainsi, pour les aliments dont la Chine est exportatrice, le gouvernement est enclin à établir un niveau d'exigence peu élevé. En 2000, seules 14,6 % des normes d'hygiène alimentaire correspondaient à celles du Codex(12). Avant son entrée dans l'OMC, la Chine fit beaucoup d'efforts pour conformer ses lois et normes aux exigences du Codex. Dans le domaine de l'hygiène alimentaire, le gouvernement a révisé 464 normes et identifié 1 379 problèmes différents(13). Il a accompli un important travail de modification, a élevé le niveau d'exigence de certaines normes, notamment celles concernant la limitation des résidus de pesticides ; à ce jour, 84,5 % des normes concernant les pesticides atteignent le niveau d'exigence du Codex(14). Par ailleurs, 81 % des normes concernant les produits polluants sont conformes au Codex(15). Dans les domaines où les fabricants alimentaires chinois sont capables de produire de manière sécurisée, ou dans ceux où la Chine est importatrice, le gouvernement a même établi des normes supérieures à celles du Codex.
Le gouvernement et les organisations non gouvernementales (ONG), c'est-à-dire essentiellement de nombreuses Chambres de commerce qui, selon la loi chinoise, entrent dans cette catégorie, peuvent tous deux recommander des normes volontaires aux producteurs. Ces normes concernent de nombreux domaines de l'alimentation. Certaines d'entre elles concernent la sécurité alimentaire et peuvent permettre aux producteurs d'élargir leur part dans le marché intérieur ou à l'exportation. Avec le développement des moyens technologiques et financiers, de plus en plus de producteurs adoptent des normes susceptibles d'accroître leur succès commercial.
Parmi les normes volontaires, celles sur les produits verts méritent une attention particulière. Le programme des produits verts, lancé par le ministère de l'Agriculture en 1992, définissait deux catégories de produits verts, portant les labels AA et A. Les premiers sont l'équivalent des produits issus de l'agriculture biologique. L'utilisation d'organismes génétiquement modifiés n'est pas autorisée dans leur production. Comme de nombreuses terres en Chine sont lourdement polluées par des pesticides ou d'autres polluants, la production d'aliments AA est extrêmement difficile, sans compter son coût relativement onéreux. Aussi ont été créés les produits verts A pour fournir une alimentation sécurisée, mais basée sur la réalité de l'environnement naturel chinois.
La norme A est supérieure à celle de l'alimentation non transgénique, mais inférieure a celle des produits AA et biologiques. Par exemple, seule une quantité limitée de pesticides et d'engrais chimiques est autorisée pour les cultures. L'environnement des cultures et des élevages (la terre, l'air et l'eau) doit répondre à certaines conditions. Le programme des produits verts n'a pas eu de succès les premières années. Mais en raison des barrières dues à la sécurité auxquelles sont confrontées les exportations de produits alimentaires non transgéniques et du souci croissant des consommateurs pour leur sécurité, la conjoncture est aujourd'hui favorable aux produits verts(16) et leur exportation en hausse motive le gouvernement dans la promotion de leur développement(17).
Le développement de produits verts pourrait inspirer d'autres pays en développement. Les produits biologiques sont trop chers pour la plupart des consommateurs, même ceux des pays développés. L'agriculture biologique ne peut être la principale orientation. Mais l'usage intensif d'engrais chimiques et de pesticides est nocif. Les produits verts sont une solution d'un coût raisonnable : l'usage d'engrais chimiques et de pesticides est permis, mais il est strictement contrôlé, de sorte que la qualité de la terre ne soit pas affectée et que la sécurité alimentaire soit garantie.
Les aliments génétiquement modifiés
Les scientifiques chinois ont commencé à étudier les technologies transgéniques au début des années 1980(18). Alors que la Chine lutte alors encore contre la pénurie alimentaire, ils persuadent les dirigeants que les organismes génétiquement modifiés (OGM) ouvrent de grandes perspectives pour l'agriculture(19). Au début des années 1990, la première plante transgénique, du tabac, est cultivée dans plusieurs régions. Cette culture de tabac transgénique est alors la plus importante plantation d'OGM dans le monde(20). Quelques années plus tard, la province du Hebei plante une variété de coton transgénique, à partir de graines fournies par la compagnie Monsanto en 1995(21). Par la suite, deux entreprises de biotechnologie associant Monsanto à un partenaire chinois sont établies dans le Hebei et l'Anhui. Aujourd'hui, dix variétés de plantes génétiquement modifiées sont en cours d'essai en Chine(22) et six plantes génétiquement modifiées sont autorisées à être produites commercialement : deux variétés de cotons, deux de tomates, du piment et une fleur nommée «gloire du matin»(23). En 2001, les terres plantés d'OGM représentaient près de 600 000 hectares en Chine(24). Toutes les décisions concernant le développement et la plantation d'OGM furent prises par le gouvernement, sans tenir compte de l'opinion du public ou de celle du monde académique.
En 1993, l'ancienne Commission d'Etat de la science et de la technologie (l'actuel ministère de la Sciences et de la Technologie) promulgue le Règlement administratif sur la sécurité de l'ingénierie génétique, le premier texte chinois relatif à l'ingénierie génétique lié à la biosécurité. Son objet est la promotion de la recherche et du développement dans le domaine des OGM, le renforcement de la sécurité, la protection de la santé publique
et celle du personnel travaillant dans les OGM, la prévention de la pollution environnementale et le maintien de l'équilibre écologique. Mais ce règlement ne comporte aucune disposition sur le contrôle des importations de produits transgéniques. De ce fait, les aliments génétiquement modifiés furent importés en Chine de la même manière que des aliments non transgéniques jusqu'en 2002.
Les importations d'aliments génétiquement modifiés ont augmenté chaque année depuis 1996(25). L'importation massive de soja américain a sérieusement nui aux intérêts des cultivateurs chinois(26). Après que la Chine eut achevé ses négociations pour entrer dans l'OMC,
il devint prévisible que l'importation d'aliments génétiquement modifiés américains allait augmenter. Avec de plus en plus d'aliments génétiquement modifiés sur la table des consommateurs, le problème de la sécurité alimentaire fut soulevé. Aussi le gouvernement décida-t-il de promulguer un règlement sur la sécurité des aliments génétiquement modifiés importés. Une réglementation évidemment susceptible de ralentir leur importation.
La règlementation sur la sécurité des aliments génétiquement modifiés
En mai 2001, est promulguée: le Règlement sur la sécurité des produits agricoles transgéniques (RSPAT). Tous les OGM, incluant plantes, animaux et micro-organismes, qu'ils soient importés, exportés ou transitant par la Chine, sont soumis à ce règlement.
Selon le Conseil d'Etat, à l'origine de ce texte, le Règlement devait entrer en vigueur à la date de sa promulgation(27). Mais il était clairement en conflit avec les exigences de transparence de l'OMC, bien que la Chine n'en fût pas encore membre en mai 2001. Les Etats-Unis firent état de leur désaccord. En outre, de nombreuses règles y étaient ambiguës, en particulier l'évaluation de la sécurité des OGM, leur étiquetage, etc. Aussi le règlement n'entra pas en vigueur à la date prévue. En vertu de ce texte, le ministère de l'Agriculture est responsable du contrôle et de l'administration de la sécurité des OGM. Pour mettre en œuvre le RSPAT, celui-ci a promulgué en janvier 2002 trois mesures administratives qui formulent des dispositions détaillées sur la sécurité, l'importation et l'étiquetage des produits agricoles transgéniques. Ces trois mesures administratives devaient entrer en vigueur le 20 mars 2002.
Le Règlement et les trois mesures administratives prévoient deux méthodes pour contrôler la sécurité des produits transgéniques dans le cadre du commerce international. Premièrement, les importateurs chinois ou les exportateurs étrangers doivent faire une demande d'évaluation des risques pour les produits transgéniques avant leur importation. La demande doit être soumise au Comité sur la sécurité des produits agricoles transgéniques, affilié au ministère de l'Agriculture, mais celui-ci n'examine les demandes que deux fois par an et a neuf mois pour donner sa réponse. Deuxièmement, les exportateurs étrangers doivent étiqueter leurs produits transgéniques.
Les trois mesures administratives qui ne furent promulguées que deux mois avant leur date d'application effective, furent source de nombreuses difficultés pour les importateurs d'OGM. Comme l'évaluation des risques pouvait prendre neuf mois, il était impossible aux importateurs d'obtenir les certificats requis à temps. Le ministère de l'Agriculture dut trouver un arrangement provisoire s'il ne voulait pas que les importations d'OGM s'arrêtent, en particulier celles de soja. Aussi le ministère de l'Agriculture promulgua-t-il le
11 mars 2002 les Mesures temporaires sur la sécurité des produits agricoles transgéniques, d'après lesquelles les exportateurs prévoyant d'exporter des OGM vers la Chine pouvaient demander des certificats temporaires basés sur des documents délivrés dans leur propre pays. Il était prévu à l'origine que ces mesures expireraient le 20 décembre 2002. Mais pour des raisons techniques, leur validité fut prolongée jusqu'au 20 septembre 2003(28). Le 16 juillet 2003, une nouvelle fois pour des raisons techniques selon le ministère de l'Agriculture, leur validité fut à nouveau prolongée jusqu'au 24 avril 2004(29). A moins que de nouvelles mesures ne soient promulguées, elles devraient être encore prolongées en 2004.
Si l'on n'a pas en mémoire les intérêts commerciaux représentés par les OGM, il est difficile de comprendre la complexité des contraintes de sécurité, de technologie et autres « raisons techniques » avancées par le gouvernement. La Chine est le plus grand importateur de soja. Elle en a importé 11,3 milliards de tonnes en 2002(30). Le commerce du soja entre la Chine et les Etats-Unis représente environ de 1 milliard de dollars américains(31), et les importations devraient encore croître.
L'application de la loi
Un régime administratif bancal
Les différents problèmes liés à la sécurité alimentaire ne relèvent pas en Chine d'un organe unique. Le ministère de la Santé semble avoir le rôle le plus important, mais le ministère de l'Agriculture, l'Administration générale du contrôle de la qualité, de l'inspection et de la quarantaine, l'Administration d'Etat de l'industrie et du commerce, l'Administration d'Etat pour la protection de l'environnement, le ministère du Commerce, l'Administration d'Etat des céréales, etc., ont également pouvoir sur différents aspects de la sécurité alimentaire, et/ou contrôlent les producteurs alimentaires de différentes manières. Chacun de ces organes établit des règles pour les problèmes qui relèvent de sa compétence. La loi sur l'hygiène alimentaire de 1995 ne prévoit aucune mesure sur la culture et l'élevage, car ceux-ci dépendent du ministère de l'Agriculture. Le Règlement sur la sécurité de l'ingénierie transgénique de 1993 ne comporte aucune disposition relatif au commerce des produits transgéniques car ce domaine était gouverné à l'époque par le ministère du Commerce international et de la Coopération économique (l'actuel ministère du Commerce). Les lois superflues et des règlements non adéquats, au lieu d'améliorer la sécurité alimentaire, augmentent le coût de la mise en œuvre de la loi et sèment la confusion chez les producteurs.
Le grand nombre d'entités différentes entraîne aussi des problèmes de coordination, que ce soit dans la promulgation ou l'application des textes légaux. En 2003, fut créée l'Administration centrale pour l'alimentation et les médicaments (SFDA) pour coordonner les différents organes, avec notamment pour mission d'intégrer la gestion et le contrôle de la sécurité alimentaire, de coordonner et d'organiser les enquêtes, et d'infliger des sanctions en cas de violation. Mais malgré son apparente importance et l'analogie avec son homologue américaine (la Food and Drug Administration), la SFDA n'a pas d'autorité réelle. Les pouvoirs liés à la sécurité alimentaire sont toujours détenus par plusieurs ministères et bureaux. Le rang administratif même de la SFDA est celui de « vice-ministère » (fubuji). Elle doit coordonner plusieurs ministères, dont le rang administratif est supérieur au sien, de sorte que ses décisions ou ses opinions ne sont guère respectées ni exécutées en cas de dissensions.
Le principal progrès accompli grâce à la SFDA, en matière de sécurité alimentaire, concerne la mise en place du Programme de garantie pour l'alimentation et les médicaments, qui exige que le ministère de l'Agriculture, le ministère de la Santé, l'Administration générale du contrôle de la qualité, de l'inspection et de la quarantaine, l'Administration d'Etat de l'industrie et du commerce, le ministère du Commerce, le ministère de la Sécurité publique et l'Administration générale des douanes prennent des mesures dans leurs domaines de compétences respectifs pour garantir la sécurité alimentaire(32). Mais il est presque impossible pour la SFDA de mener à bien sa mission de coordination, dans l'actuel enchevêtrement et dispersion des juridictions.
Par exemple, le ministère de l'Agriculture est qualifié pour accorder une licence d'hygiène aux producteurs, une mesure essentielle pour la sécurité alimentaire. Dans le même temps, depuis 2002, l'Administration générale du contrôle de la qualité, de l'inspection et de la quarantaine est également autorisée à délivrer une telle licence. Du point de vue du ministère de l'Agriculture, la licence de l'Administration générale du contrôle de la qualité n'est pas nécessaire.
Autre exemple : après que le ministère de l'Agriculture eut publié plusieurs mesures relatives aux OGM, le ministère de la Santé promulgua à son tour des Mesures administratives sur l'hygiène des aliments génétiquement modifiés. Différents organes élaborent ainsi fréquemment leurs propres textes relatifs à la sécurité alimentaire qui empiètent sur les juridictions d'autres organes ou contredisent d'autres textes.
A l'heure actuelle, les produits verts dépendent du Centre des produits verts, affilié au ministère de l'Agriculture. Les produits biologiques dépendent du Centre des produits biologiques, sous la houlette de l'Administration d'Etat pour la protection de l'environnement(33). Les produits verts AA sont quasi identiques aux produits biologiques, mais dans la pratique ils sont en concurrence avec eux. La coexistence d'un programme du ministère de l'Agriculture et d'un programme similaire mis en place par l'Administration d'Etat pour la protection de l'environnement entraîne un gaspillage évident de ressources. De la même manière, la sécurité des produits agricoles génétiquement modifiés dépend du ministère de l'Agriculture, tandis que celle des produits non transgéniques dépend de celui de la Santé. La situation ne saurait s'améliorer dans un futur proche car cela exigerait une redistribution des pouvoirs entre les différents organes, ce qui s'annonce difficile. La gestion de l'alimentation est encore aggravée par la taille de la population agricole.
L'inefficacité de la gestion par la sanction
Le principal travail accompli par les organes administratifs est le contrôle, plusieurs fois par an, du respect de la loi sur l'hygiène. Mais le gouvernement n'attache pas assez d'importance à l'aide aux producteurs qui mettraient eux-mêmes en place des moyens de garantie de la sécurité alimentaire. L'essentiel du travail d'inspection consiste à identifier et à sanctionner les producteurs qui enfreignent la loi. Dans la loi de 1995, l'obligation faite aux producteurs de garantir la sécurité alimentaire n'est pas prescrite de manière détaillée, mais les dispositions relatives aux sanctions sont en revanche clairement stipulées. En 2002, le contrôle du respect de la loi sur l'hygiène alimentaire concernait 98 % des producteurs alimentaires(34). L'inspection eut pour principales conséquences la sanction de producteurs condamnés à des amendes ou à des retraits de licences, etc. Toutefois, d'autres méthodes pourraient sans doute aider à améliorer la sécurité alimentaire, par exemple une approche tout au long de la chaîne du producteur au consommateur, le retrait du marché des produits non conformes, ou une meilleure traçabilité des aliments. Les pénalités per se ne sont ni efficaces ni suffisantes. L'interdiction de certains pesticides ne suffit pas à garantir la sécurité alimentaire : les pesticides prohibés doivent être retirés du commerce et leurs stocks détruits.
Les enjeux commerciaux
La volonté d'améliorer la sécurité alimentaire n'est pas seulement mue par des questions de sécurité, mais aussi par des intérêts commerciaux. L'un des buts de la gestion de l'hygiène alimentaire est un développement des exportations, car la Chine produit davantage de produits agricoles qu'elle n'en consomme(35). Conformément au Plan d'action sur la sécurité alimentaire promulgué par le ministère de la Santé en 2003, le gouvernement «modifiera à l'occasion les règlements et normes de sécurité alimentaire, pour assurer que les règlements et normes d'hygiène alimentaire répondent aux exigences des importations et exportations d'aliments, tout en protégeant la santé des consommateurs»(36). Cette attitude peut être tenue pour caractéristique de nombreux pays en développement.
L'application des règlements de sécurité sur les OGM met en lumière les intérêts commerciaux en Chine dans le domaine de la sécurité alimentaire. Après la promulgation des Mesures administratives sur l'étiquetage, le ministère de l'Agriculture publia la première liste d'OGM devant être étiquetés(37) : seules cinq catégories d'OGM doivent être étiquetées : le soja(38), le maïs(39), le coton(40), la tomate(41), les graines de colza(42). Et même pour ces catégories, tous les produits dérivés ne sont pas soumis à l'étiquetage.
Par exemple, seuls cinq dérivés du soja sont soumis à étiquetage. Le lait de soja, la sauce de soja et le doufu (fromage de soja) n'en font pas partie. Si la sécurité était le souci premier, tous les aliments produits à partir d'OGM devraient être étiquetés à partir d'une certaine proportion d'ingrédients provenant d'OGM. La sauce de soja et le doufu sont des produits de grande consommation en Chine. Fabriqués selon des méthodes traditionnelles, ils sont rarement importés. S'il s'agit de la raison pour laquelle ils ne sont pas obligés d'être étiquetés, alors même qu'ils sont fabriqués avec du soja transgénique, les préoccupations du gouvernement au sujet des OGM apparaissent bien peu sincères.
Les Mesures administratives sur l'étiquetage entrées en application en 2002 concernent également les produits importés. Mais le gouvernement ne contrôla pas le respect de l'étiquetage sur le marché intérieur jusqu'à l'été 2003(43). Il apparut alors que la quasi-totalité des producteurs d'huile de soja transgénique contrevenaient à ces mesures, avant d'y être contraints après inspection. Mais à part le soja, les autres produits génétiquement modifiés sont restés non étiquetés dans les supermarchés jusqu'à la fin de l'année 2003.
Par ailleurs, les Mesures administratives sur l'étiquetage ne spécifient pas clairement à partir de quelle quantité minimum d'ingrédients transgéniques un produit doit être étiqueté, il n'est pas clair si un mélange de produits transgéniques et de produits traditionnels est concerné. De tels mélanges sont plus fréquemment utilisés dans les produits nationaux que dans les produits importés.
Problèmes liés à la rapide industrialisation
Bien que le gouvernement ait fait de nombreux efforts dans l'application et le contrôle de la mise en œuvre de la loi sur l'hygiène alimentaire, la situation demeure insatisfaisante. En 2001, plus de 19 000 personnes furent victimes de 611 affaires d'empoisonnement alimentaire(44). L'année suivante, 11 000 personnes furent empoisonnées et 464 affaires recensées(45). Il est notable que la plupart des empoisonnements surviennent après consommation domestique de produits alimentaires dangereux(46).
Beaucoup d'aliments dangereux sont produits dans les zones intermédiaires entre les villes et les campagnes, où le pouvoir des autorités et urbaines et rurales, est faible. Suite à l'industrialisation, les villes se sont étendues, et avec elles, les zones « grises » entre villes et campagnes. Le pouvoir des gouvernements municipaux ne s'est pas développé parallèlement, et celui des autorités villageoises a rapidement décliné du fait de la perte de leurs terres par les paysans. De nombreux producteurs alimentaires illégaux sont établis dans ces zones «grises» pour produire ou traiter des aliments qu'ils revendent ensuite dans les villes.
C'est typiquement le cas de «l'huile de poubelle» (ganshui you) ou de «l'huile d'égoût» (digou you)(47). La banlieue de Pékin abriterait à elle seule plus de 1 000 producteurs de ce genre d'huile, dont certain seraient établis depuis plus de trente ans, et ce malgré les nombreuses arrestations opérées par l'Administration pour la protection de l'environnement de Pékin. Une affaire d'« huile de poubelle » nécessite l'intervention de plusieurs organes : le ministère de la Santé en charge de la gestion des restes alimentaires, l'Administration pour la protection de l'environnement en charge des eaux usées et l'Administration de l'industrie et du commerce, responsable des licences commerciales. Cet exemple illustre bien comment les problèmes d'administratifs empiètent sur ceux de sécurité alimentaire.
La SFDA a décidé d'améliorer l'administration des zones intermédiaires entre villes et campagnes, mais aucune mesure visant ces zones « hors juridiction » n'a été prise pour le moment, vouant à l'immobilisme cette situation confuse.
Le Plan d'action sur la sécurité alimentaire, publié par le ministère de la Santé est très ambitieux, et établit une série d'objectifs à atteindre avant 2008(48). Il est toutefois douteux que le ministère de la Santé puisse garantir la sécurité alimentaire en Chine, compte tenu de ses pouvoirs limités et du cadre légal actuel.
La Loi sur l'hygiène alimentaire de 1995 ne concerne pas l'agriculture et l'élevage, ceux-ci relevant du ministère de l'Agriculture. Mais l'usage de pesticides, d'engrais chimiques dans l'agriculture, de médicaments et d'hormones de croissance dans l'élevage, ont entraîné de nombreux problèmes au sein de la production agricole. La Chine est le plus grand consommateur d'engrais chimiques au monde(49). Les pesticides sont massivement utilisés ; 70 % sont très toxiques(50), et de nombreux pesticides interdits dans l'Union Européenne sont toujours utilisés en Chine(51). Des résidus de pesticides sont si fréquemment retrouvés sur les légumes, et en telle quantité, que de nombreux experts conseillent de laver les légumes, puis de les ébouillanter avant de les cuisiner et de les consommer(52). La gestion des engrais chimiques, des pesticides, ou des médicaments pour animaux dépend du ministère de l'Agriculture, qui en est aussi le principal utilisateur et bénéficiaire. Celui-ci devrait à l'avenir contrôler l'agriculture et l'élevage. Un nouveau Règlement sur la sécurité des produits agricoles, en préparation, devrait être promulgué.
Bien que la chaîne « de la terre à l'assiette » soit segmentée, le ministère de la Santé semble décidé à agir de son mieux dans son domaine. La loi sur l'hygiène alimentaire de 1995 comprend quelques règles importantes pour garantir la sécurité alimentaire, mais exposées de manière très sommaire, conduisant à des problèmes dans leur application. Le ministère de la Santé a fixé la promulgation d'un règlement détaillé sur l'application de la loi sur l'hygiène alimentaire de 1995 à l'année 2004-2005(53). Une série de règlements et de documents normatifs ont été inscrits à l'agenda législatif par le ministère de la Santé, dont des règles administratives sur l'inspection d'échantillons pour la sécurité alimentaire, des règles administratives sur l'étiquetage des produits alimentaires, l'amendement et la publication de 316 normes alimentaires et la promulgation de nouvelles normes, par exemple sur le résidu maximum de 19 polluants chimiques dans les produits et aliments d'origine agricole(54).
Le problème le plus délicat à résoudre dans la mise en œuvre et le contrôle de la loi et des règlements sur la sécurité alimentaire est le fait que plusieurs organes se partagent la gestion de la production et de la vente d'aliments. Etablir des mécanismes permettant aux différentes bureaucraties de coopérer efficacement est un défi difficile que l'Etat doit relever. Lorsque les différents organes ne peuvent agir de concert, les producteurs illégaux ont toutes les chance d'échapper à la justice, comme dans le cas de l'« huile de poubelle ».
En 2002, il y avait en Chine 382 737 unités de production ou de transformation de produits alimentaires(55). La plupart d'entre elles sont de petite taille ou de taille moyenne et sont à l'origine de la plupart des problèmes de sécurité. Même si certains se sont enrichis grâce au développement économique, le revenu mensuel moyen des résidents urbains est de seulement 716 yuan (86 dollars américains)(56), ce qui est toutefois très supérieur au revenu des ruraux. Les résidents urbains aux faibles revenus constituent les principaux consommateurs d'aliments de basse qualité, et sont également la cible pour des produits comme l'« huile de poubelle ». En 2002, le ministère de la Santé à procédé à 505 084 inspections chez des producteurs alimentaires(57) dans l'ensemble du pays, y compris dans des cafétérias et des restaurants : 13,68 % d'entre eux enfreignaient la loi, sous différents aspects(58). Contrôler le nombre considérable de petits producteurs sur un territoire aussi vaste que la Chine constitue un redoutable défi, un défi partagé par la plupart des pays en développement où les producteurs sont des petites ou moyennes entreprises et manquent à la fois de moyens et de ressources.
La Chine a commencé à réglementer la sécurité alimentaire immédiatement après avoir réglé le problème de la pénurie. Mais elle manque encore d'un système juridique efficace pour la garantir. De nombreuses difficultés proviennent de problèmes administratifs et de la priorité accordée au développement économique. L'intégration progressive de la Chine dans la communauté internationale permet une amélioration de la sécurité alimentaire, mais de nombreux efforts restent à accomplir tant dans le domaine législatif comme dans celui de l'application de la loi.
Traduit de l'anglais par Nicolas Ruiz-Lescot