BOOK REVIEWS
Alain Roux, Wang Xiaoling, Qu Qiubai (1899-1935), « Des mots de trop » (duoyu de hua). L'autobiographie d'un intellectuel engagé chinois
Cette autobiographie de Qu Qiubai est un texte des plus ambigus. Certains y voient le testament politique d’un intellectuel désabusé après ses échecs politiques, d’autres soupçonnent qu’un tel document était destiné à obtenir la grâce de son auteur dont il semble minimiser le rôle au sein du parti communiste, d’autres encore considèrent qu’il s’agit d’une méditation aux accents romantiques ou même bouddhiques sur la vanité d’une vie gâchée et proche de sa fin.
Dans deux chapitres séparés, les coauteurs précisent leurs visions respectives. Dans le chapitre IV, intitulé « Le hors-texte : les douleurs de l’engagement», Wang Xiaoling commente (et plus souvent paraphrase) le texte, mettant l’accent sur les conditions historiques de son élaboration. Pour Wang, l’auteur des « Mots de trop », en évoquant son engagement politique, « semble vouloir montrer au lecteur que le modèle soviétique n’était pas adapté à la réalité chinoise » et que « l’échec tragique de sa carrière » fait écho à celui du parti communiste s’efforçant, au tournant des années 1920-1930, de suivre la ligne imposée par Staline.
Dans le chapitre I, « Une révolution trop loin », Alain Roux adopte une interprétation plus radicale. Sous la résignation à l’échec et la douleur d’une vie gâchée, il détecte la persistance d’une véritable combativité politique. Loin de signer son renoncement, la reconversion de Qu Qiubai à la littérature à partir de 1931 inaugurerait la recherche d’une nouvelle voie révolutionnaire fondée sur le rejet de tout dogmatisme, l’exaltation d’une littérature de masse et la revalorisation concomitante du rôle des lettrés. Suggestion très séduisante, mais qui pousse peut-être un peu trop loin les indications du texte.
Bien présenté, pourvu d’une très abondante bibliographie chinoise et occidentale, d’un glossaire des caractères, d’un index des noms propres, d’une liste de notices biographiques, cet ouvrage fait toute la lumière possible sur un texte, dont la fascination réside non seulement dans ses accents profondément personnels, en complet contraste avec la langue de bois en vigueur dans la littérature communiste, mais aussi dans le mystère sur les intentions entretenues par l’auteur, ainsi que dans les divergences d’interprétation qu’il a suscitées depuis plus d’un demi-siècle. •