BOOK REVIEWS
Noël Dutrait (s.d.), L'écriture romanesque et théâtrale de Gao Xingjian
Ce recueil rassemble seize communications présentées lors du colloque international sur l’œuvre de Gao Xingjian, organisé par l’équipe de recherche « Littérature chinoise et traduction » de l’université de Provence, et qui s’est tenu les 28 et 29 janvier 2005 à Aix-en-Provence. L’ensemble, préfacé par Noël Dutrait qui signe également l’un des articles, est complété par un « post-scriptum » et une bibliographie non exhaustive des ouvrages de Gao Xingjian disponibles en français, à laquelle il conviendrait d’ajouter, entre autres, les extraits de la pièce L’Arrêt d’autobus traduits par Danièle Turc-Crisa et parus en 1988 dans l’anthologie La Remontée vers le jour (Alinéa).
Quelques-unes des interventions s’apparentent à des hommages, souvent virulents à l’égard des détracteurs du prix Nobel 2000 (Liu Zaifu, Chen Maiping, Torbjörn Lodén). Intéressantes par la confirmation qu’elles nous apportent du symbole politique qu’a représenté le couronnement de l’œuvre de Gao, elles laissent apparaître, dans certains cas, une relative méconnaissance de la littérature du continent : ainsi l’article de Pham Xuân Nguyên sur « Gao Xingjian au Vietnam », en saluant le refus de Gao d’adhérer à une lecture univoque de l’histoire, semble-t-il ignorer que la littérature chinoise contemporaine n’a cessé de remettre en cause, depuis les années 1980, la vision officielle de cette dernière.
Une bonne partie des articles porte, comme il se doit, sur l’œuvre théâtrale de Gao, notamment sur sa pièce La Neige en août, montrée d’abord en 2002 à Taipei, puis à l’Opéra de Marseille en 2005. Si plusieurs critiques évoquent l’esprit zen ou chan de cette pièce (on pourra regretter l’absence d’harmonisation, sur ce terme, entre les articles traduits de l’anglais et ceux traduits du chinois), Hu Yaoheng y voit au contraire une expression supplémentaire de l’idée maîtresse de Gao selon laquelle il ne faut s’en remettre ni aux sages ni aux gouvernants.
Les deux grands romans de Gao Xingjian, La Montagne de l’âme et Le Livre d’un homme seul, font l’objet respectivement de deux articles spécifiques : le premier de Li Young-Gu, le deuxième de Zhang Yinde, qui tente un parallèle entre l’ouvrage de Gao et les récits de Semprun centrés sur la mémoire de l’expérience concentrationnaire (une comparaison qui a néanmoins ses limites, car si Semprun a bien traversé l’épreuve de l’enfermement dans un camp nazi, Gao n’a pas connu à proprement parler la version chinoise du goulag stalinien).
Plusieurs aspects de la personnalité ou de l’écriture de Gao ont retenu, à juste titre, l’attention de l’ensemble des auteurs. D’abord l’indivi-dualité, revendiquée par Gao comme une force de résistance contre le pouvoir d’en haut, mais aussi contre la masse et, lié à ce thème, celui de la fuite. Mabel Lee montre comment l’individu chez Gao est l’antithèse du surhomme de Nietzsche, dont le modèle, à travers les dérives récentes de la Révolution culturelle, se trouve ainsi mis en accusation.
Sebastian Veg analyse la tension entre la « marginalité » et la dimension sociale dans ses premières pièces, et conclut sur la permanence, chez le dramaturge, d’une « implication éthique dans le monde ».
Sur le plan formel, tous les critiques ont abondamment commenté les variations sur les pronoms auxquelles l’auteur se livre quasi systématiquement depuis La Montagne de l’âme (les premières expérimentations ayant débuté dans des œuvres antérieures : voir l’article de Iizuka Yutori, p. 131), et cela aussi bien dans ses romans que dans ses pièces. Tous semblent y voir une prise de distance salutaire par rapport au « moi », sans toutefois définir avec précision en quoi, au-delà du procédé formel, ces dédoublements et ces changements de point de vue contribuent à une meilleure connaissance de soi-même et des autres.
Il est vrai que ce jeu sur les personnes est particulièrement subtil, au point de prêter à des interprétations contradictoires. L’auteur du Livre d’un homme seul s’est-il assuré ainsi, comme l’écrit Mabel Lee, qu’« il ne glisserait pas dans la mentalité de victime » (p. 20), ou bien la disparition paradoxale du « je » favorise-t-elle le surgissement d’un moi ambigu qui n’assume rien, ni culpabilité ni innocence et s’installe dans l’esquive, tout en gardant sur le monde la supériorité de son regard surplombant ? Les personnages récurrents d’homme seul, depuis « l’Homme silencieux » de L’Arrêt d’autobus jusqu’au patriarche Huineng (La Neige en août), sur lesquels plusieurs critiques se sont arrêtés, sont eux aussi générateurs d’ambiguïté dans la mesure où ils tendent à détruire, par la singularité et la lucidité supérieure qu’ils incarnent, la position d’individu ordinaire ailleurs défendue par l’auteur.
L’article de Gilbert Fong apporte des éléments d’interprétation intéressants en signalant (de manière lacunaire toutefois) quelques étapes du passé de Gao en terre chinoise et en montrant comment son art a pu évoluer à la faveur des « commandes » ou des attentes du public étranger. De fait, une étude biographique plus complète aurait sans doute été nécessaire pour mieux élucider le parcours politique de Gao et pour mesurer l’impact de l’exil sur sa création. De même, restent à expliciter plus concrètement le travail de rénovation de la langue chinoise dont l’écrivain est crédité à diverses reprises, ainsi que les rapports que cette œuvre réputée inclassable, et qui l’est assurément à bien des égards, a, au moins à ses débuts, entretenus avec des courants littéraires contemporains, comme celui de la « recherche des racines ».
 
         
        