BOOK REVIEWS

Isabelle Attané, Jacques Véron (éd.), Gender Discriminations Among Young Children in Asia

by  Marina Thorborg /

Depuis que le signal d’alarme a été donné par Amartya Sen en 1990([1]), un certain nombre de travaux ont été publiés sur le déséquilibre croissant entre les sexes en Asie orientale et méridionale, en posant généralement une triple question : « pourquoi, où et qui([2])? ». Toutefois, ce dernier recueil d’études réalisées par des spécialistes – démographes pour la plupart - envisage également les moyens de remédier à cette situation inquiétante. Il rassemble les résultats de travaux d’un séminaire organisé à l’Institut français de Pondichery en collaboration avec le Centre français sur la population et le développement, le FNUAP indien, et l’Institut national d’études démographiques de Paris.

Historiquement, la Chine et certaines régions de l’Inde se sont caractérisées par d’importants déséquilibres dans le ratio hommes/femmes – à l’instar d’autres sociétés à différentes époques[3]. Toutefois, dans les années 1980, l’introduction des techniques de visualisation prénatale permettant d’identifier le sexe du fœtus a entraîné d’importants bouleversements. Le déséquilibre du ratio hommes/femmes à la naissance s’est encore accentué, principalement dans les sociétés patriarcales d’Asie orientale et méridionale, à l’exception de l’Asie du sud-est[4] : les deux parents y sont d’égale importance, la prise en charge des personnes âgées est généralement assurée par les filles, et le mariage et les coutumes en matière d’héritage sont beaucoup moins discriminants à l’égard des filles et leur accordent plus de place dans la société et le monde du travail[5].

Ce recueil privilégie essentiellement les cas indien et chinois. Chaque étude présente des formes de discrimination que révèle le ratio hommes/femmes à la naissance, la mortalité infantile par sexe, l’espérance de vie par sexe. Lorsqu’elles sont comparées avec les normes internationales, ces données indiquent toujours une position désavantagée des femmes[6]. En Inde, les discriminations sexuelles les plus importantes se concentrent dans la région du nord-est, pour laquelle des documents britanniques du XIXème siècle signalent déjà le déficit de femmes et le nombre élevé de crimes violents[7]. Roy Choudury analyse en profondeur le développement des déséquilibres dans les provinces, révélé par le recensement de 2001, et démontre que la prospérité ne diminue pas le faible désir de filles. Plus une famille comporte déjà de filles, plus le ratio hommes/femmes est en déséquilibre. Par ailleurs, le phénomène d’urbanisation suppose des familles restreintes, dans lesquelles la visualisation prénatale est utilisée afin de garantir au moins une naissance mâle. Un phénomène parfaitement identique a pu être observé en Chine, où il apparaît que les zones de peuplement han majoritaire présentent les plus grandes inégalités dans le ratio hommes/femmes. C’est ce que révèle le cha-pitre intéressant de Christophe Guilmoto, qui propose une analyse spatiale des cas indiens et chinois. Il néglige cependant de rappeler que le nombre autorisé d’enfants par famille est supérieur pour les minorités nationales et que dans les mariages mixtes, une majorité de couples choisit le statut de minorité pour cette même raison, ce qui permettrait ainsi d’expliquer certaines différences.

Irudaya Rajan et S. Sudha offrent une pénétrante analyse des discriminations qui perdurent en Inde. Ce pays apparaît aux côtés de la Chine avec les inégalités hommes/femmes les plus importantes d'Asie en matière d’alphabétisation et d’éducation, ce qui génère d’importantes conséquences pour les femmes sur le marché du travail. Les deux auteurs reviennent également sur des notions solidement ancrées dans la société, comme la nécessité pour les femmes d'épouser un mari plus âgé. On note toutefois quelques erreurs dans le chapitre, avec des références qui s’arrêtent après lettre “K” et l’absence des tableaux 1 a et b, 2 a et b. Dans le chapitre intitulé « Le genre fait-il la différence ? » Lin Tang et Yueping Song indiquent les moyens d'atténuer la discrimination des genres dans les manuels scolaires chinois et présentent pour cela une stratégie constructive en six points. Elles citent encore des recherches révélant que les matériaux d’enseignement dans les écoles primaires présentent toujours les femmes comme « épouse, mère ou infirmière » tandis que les hommes apparaissent comme leaders et créateurs de richesses. Il arrive que les sources chinoises citées se contredisent entre elles: à la page 212, on trouve dans un premier temps l’affirmation selon laquelle l’ensemble des femmes et hommes âgés de moins de 50 ans en Chine ont reçu une éducation pendant plus de neuf années. On apprend ensuite que dans les campagnes, 82,5% des femmes et 67,7 % des hommes n’ont reçu aucune éducation. Si l’on considère que 60 % des Chinois vivent toujours dans les campagnes et que la proportion des plus de 50 ans n’excède pas celle des individus âgés entre 0 et 50 ans, l’une de ces affirmations doit être grossièrement exagérée.

Deux chapitres sont consacrés au développement régional en Inde. Stéphanie Vella et Sébastien Oliveau étudient « les tendances spatio-temporelles de la discrimination à l’égard des femmes dans le Tamil Nadu », et Aswini Nanda et Jacques Véron analysent « les déséquilibres du ratio hommes/femmes chez les enfants au nord-ouest de l’Inde, dans les états de l’Haryana et du Punjab ». Vella et Oliveau fournissent une étude passionnante des nombreux facteurs ayant favorisé le développement de l'infanticide et les mutations du mariage, avec le passage de la cosanguinité à l'hypergamie, entraînant l'adoption de la dot par une caste à dominante paysanne, et par conséquent une discrimination des familles de propriétaires terriens à l'égard de leurs filles qui précède celle des familles sans terre. Nanda et Véron démontrent dans leur article provocant comment la combinaison entre « modernité » – être urbain, plus riche et éduqué – et « archaïsme» – la nécessité d’avoir un fils et l’acceptation d’une dote démesurée – a aggravé la discrimination entre les genres, avec une diminution de plus en plus importante de la population féminine dans les deux états les plus développés de l’Inde. Des tendances similaires sont mises à jour dans le chapitre d’Isabelle Attané sur « les discriminations de genre dans les premières étapes de la vie en Chine”, qui prouve également que la sous-évaluation statistique explique en réalité moins de 10% des filles manquantes en Chine.

Dans un article très analytique intitulé « Comment augmenter le taux de survie des filles », Li Shuzhuo et Zhu Chuzhu examinent les projets de coopération qui devraient permettre d’affaiblir la combinaison fatale entre le système de parenté patriarcal, la préférence pour les enfants mâles, et le contrôle des naissances. Sont examinés également les moyens de renverser la tendance générale, en promouvant notamment une plus grande indépendance économique des femmes et une meilleure conscience d’elles-mêmes. Un beau chapitre sur « Taiwan et le bien-être de l’enfant ” de Wen Shang Yang et Likwang Chen présente de nouveaux courants de pensée qui insistent sur la qualité plutôt que sur la quantité en matière d'enfants. Dans un article provocant, Doo-sub Kim étudie « les changements de tendances » en Corée du Sud et montre que l’accroissement des déséquilibres dans le ratio hommes/femmes atteint un pic en 1995, du fait des rapides changements de valeur au sein de la population jeune, dus en partie aux campagnes du gouvernement. En Corée du Sud, l’infanticide et la discrimination à l’égard des filles restent peu développés. L’article très différent de Karim Mehtab sur « La préférence pour les fils au Pakistan » nous présente une société avant toute transition démographique, et par conséquent dépourvue d'infanticide des filles et de visualisation prénatale, où les femmes enfantent jusqu’à ce que soit atteint le nombre désiré de garçons, et où la mortalité maternelle est donc très importante. Néanmoins, de meilleurs soins dispensés aux garçons ont permis une décrue plus rapide de la mortalité infantile mâle. Ces phénomènes expliqueraient-ils le surplus de 6,5 millions d’hommes que révèlent les dernières statistiques pakistanaises et le déficit de 9% de population féminine, une proportion identique à celle de l’Inde et de Taiwan, mais moins importante que celle de la Chine ?

Ce recueil intéressera donc le public des chercheurs comme celui des non-initiés, non seulement pour la qualité de ses analyses mais parce qu’il révèle également quelles politiques ont eu de l'effet, comment les tendances démographiques ont pu changer, et pourquoi. •

 

• Traduit de l’anglais par Nicolas Ruiz-Lescot