BOOK REVIEWS

Andrew M. Marton, China’s Spatial Economic Development. Restless Landscapes in the Lower Yangzi Delta

by  Guillaume Giroir /

L’ouvrage d’Andrew M. Marton, géographe à l’Institut d’études sur la Chine de l’Université de Nottingham apporte une contribution de grande qualité à la compréhension des mécanismes de transformation spatiale des campagnes chinoises après la mort de Mao Zedong, en général, et de celles du delta du Yangzi, en particulier. Il associe deux approches complémentaires, l’une théorique, l’autre empirique.

Les premiers et les derniers chapitres constituent ainsi un état des lieux bien documenté des débats théoriques relatifs à la géographie du développement, ainsi que la justification de l’utilisation de certains concepts récents. A. Marton se propose d’appliquer au Bas-Yangzi, et en particulier à la municipalité de Kunshan, le nouveau concept de « méga-urbanisation » (ou de « région méga-urbaine », T. McGee, I. M. Robinson, 1995), initialement créé pour rendre compte des espaces périmétropolitains d’Asie du sud-est. La méga-urbanisation représente, selon les auteurs, un nouveau type de région urbaine, avec en particulier une vaste auréole de périphéries (appelée « région métropolitaine étendue », ou desakota, N. Ginsburg, 1991) caractérisée par de fortes densités et une imbrication entre habitat rural et industries. Afin d’approfondir la connaissance de ce type de territoires, l’auteur reprend la notion « d’environnement transactionnel » élaborée par Preston (1975) et précisée par Rondinelli (1983) et Unwin (1989). Les « transactions » représentent l’ensemble des interactions et des interrelations unissant les milieux urbains et ruraux : flux de matières premières et d’énergie, de biens manufacturés, de services, de personnes, d’informations et de capitaux. L’intensité particulière de ces flux dans les campagnes du Bas-Yangzi conduit l’auteur à affirmer que le clivage entre l’urbain et le rural y serait désormais dépassé. Dans une optique de type systémique, A. Marton synthétise cette approche théorique ainsi que son application au fonctionnement du territoire particulier de Kunshan sous la forme d’un organigramme final (figure 7-1, p. 188).

L’approche empirique, nourrie par des sources écrites inédites, ainsi que de multiples entretiens, questionnaires et enquêtes de terrain, constitue le cœur de l’ouvrage. Après une présentation générale (principalement statistique) du Bas-Yangzi, A. Marton consacre une centaine de pages à étudier les transformations de la municipalité de Kunshan (p. 86 à 180). L’auteur, déçu par les études macro-économiques relatives à la transition en Chine, met au jour toute la complexité des mécanismes du développement local. Sans négliger le rôle des facteurs exogènes, il inscrit en effet résolument son propos dans le cadre des théories du développement endogène. L’analyse de ce territoire situé entre Shanghai (55 km) et Suzhou (36 km) met en valeur le rôle spécifique des divers acteurs du développement (gouvernements locaux, entreprises, marchés urbains, épargnants et travailleurs). Elle se situe successivement à deux échelles complémentaires : d’abord celle de la municipalité de Kunshan dans son ensemble, puis celle plus locale d’études de cas (bourg de Dianshanhu, village de Tongxin, zones spéciales de développement).

Les perspectives ouvertes par l’ouvrage d’A. Marton appellent à l’évidence des recherches ultérieures. Le sous-titre, centré sur la dynamique paysagère du Bas-Yangzi, peut induire en erreur. Le lecteur ne trouvera pas d’étude cartographique ni de description qualitative des transformations de l’occupation du sol à l’échelle du delta du Bas-Yangzi ou même de Kunshan. Or, seule une approche cartographique à échelle fine, difficile à mener il est vrai dans le contexte actuel de la Chine, pourrait permettre de démontrer véritablement l’idée d’une disparition de la distinction entre le rural et l’urbain et de progresser dans l’analyse de ce phénomène si original des desakota. Des études complémentaires devraient essayer d’élaborer une typologie de ces zones rurales afin d’en faire ressortir la différenciation spatiale à échelle fine. Il y a lieu également de s’interroger sur la représentativité de Kunshan, devenue en une quinzaine d’années une véritable ville-champignon grâce à l’implantation massive d’entreprises taiwanaises ; il est ainsi question désormais d’un « modèle de Kunshan ». Cet apport extérieur de capitaux relativise l’idée d’une endogénéité dominante du processus de développement local. Au-delà du cas particulier du Bas-Yangzi, le nouveau concept de méga-urbanisation constitue un outil conceptuel stimulant, mais suscite également des interrogations. Le néologisme de « méga-urbanisation » qui est proposé n’emporte pas une totale adhésion. En outre, s’il est vrai que les campagnes chinoises montrent des formes d’industrialisation diffuse en milieu rural, leur taux d’urbanisation demeure, quant à lui, très bas. Il semble plutôt qu’il s’agisse d’un type particulier de « région périmétropolitaine », dans un contexte particulier de surdensités de population, d’industrialisation des campagnes et de sous-motorisation individuelle. Il serait nécessaire d’en présenter la zonation spatiale interne en analysant l’articulation spécifique entre formes exogènes et endogènes de développement pour chacune des mégapoles chinoises.

Ces remarques ne remettent nullement en question la valeur globale de cet ouvrage qui repose sur la rigueur de sa méthodologie, son effort de conceptualisation et sa familiarité avec le terrain étudié. Il démontre, s’il était besoin, la pertinence et la nécessité d’une approche géographique, et non pas seulement économique, des questions de développement en Chine. Le processus de transition d’une économie planifiée à une économie de marché affecte l’ensemble des agrégats macro-économiques et des indicateurs sociaux, mais il s’applique à un pays-continent fortement différencié ; la transition est donc non seulement économique, mais aussi spatiale, à plusieurs échelles.